Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/561

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respect humain, pour avouer qu’il était au Capitole avec Saturninus. Mais enfin votre oncle y était : soit ; je veux même qu’il n’y ait été contraint ni par l’état désespéré de ses affaires, ni par quelques malheurs domestiques ; je veux que l’affection qui l’unissait à L. Saturninus l’ait déterminé à sacrifier la patrie à l’amitié : mais était-ce une raison pour C. Rabirius de trahir la république, de ne point se ranger parmi tant de bons citoyens qui avaient pris les armes, de ne pas obéir à la voix, à l’ordre des consuls ? Or, nous le voyons : il y avait à opter entre trois partis, ou suivre Saturninus, ou s’unir aux gens de bien, ou se cacher. Se cacher, c’était se condamner à la mort la plus honteuse ; se joindre à Saturninus, c’était crime et folie : le courage, la vertu, l’honneur ordonnaient de se joindre aux consuls. Faites-vous donc un crime à Rabirius d’avoir été avec ceux qu’il ne pouvait combattre sans la plus coupable folie, ni abandonner sans le plus grand déshonneur ?

IX. C. Décianus, que vous citez souvent, osa, dans une accusation intentée par lui, aux applaudissements de tous les gens de bien, contre P. Furius, homme souillé de toute sorte d’infamies, se plaindre devant le peuple de la mort de Saturninus ; il fut condamné. Sext. Titius fut aussi condamné pour avoir eu chez lui un portrait de Saturninus. Les chevaliers romains déclarèrent, par leur sentence, qu’on était un mauvais citoyen, indigne de rester dans Rome, lorsqu’en gardant le portrait d’un factieux qui avait osé se déclarer l’ennemi de la république, on voulait ou honorer sa mémoire, ou exciter la pitié et les regrets d’une multitude aveugle, ou manifester le désir d’imiter ses crimes. Aussi, Labiénus, je ne puis concevoir où vous avez trouvé ce portrait que vous possédez. Car, après la condamnation de Sext. Titius, il n’y eut personne qui osât le garder. Si vous aviez entendu parler de cette affaire, ou si vous n’étiez pas trop jeune pour en avoir été témoin, jamais sans doute ce portrait, qui, pour avoir été placé dans la maison de Sext. Titius, causa sa ruine et son exil, n’aurait paru entre vos mains, à la tribune et au milieu de l’assemblée du peuple : vous ne seriez point venu vous heurter contre ces écueils où vous verriez le naufrage de Sext. Titius et le débris de la fortune de C. Décianus. Mais sur tous ces points vous avez failli par ignorance : vous avez voulu faire revivre un débat plus ancien que vous, un débat déjà mort et oublié avant votre naissance. Cette cause que vous auriez sans doute embrassée vous-même, si votre âge vous l’eût permis, vous voulez aujourd’hui la faire condamner. Mais ne voyez-vous pas quels hommes, quels illustres morts vous venez accuser du plus grand des crimes ? ne voyez-vous pas de combien d’autres, parmi ceux qui vivent encore, vous compromettez la vie par ce même procès ? Car si C. Rabirius s’est rendu coupable d’un crime capital, en prenant les armes contre Saturninus, l’âge qu’il avait alors pourra peut-être lui servir d’excuse ; mais Q. Catulus, le père de celui que nous voyons, Catulus, en qui brillait une si haute sagesse, une vertu si parfaite, une si rare bonté ; mais M. Scaurus, si grave, si éclairé, si prudent ; mais les deux Mucius, L. Crassus, M. Antoine, qui fut alors placé en dehors des murs avec des troupes ; mais ces citoyens dont Rome a tant admiré la sagesse et le talent ; tant d’autres non moins considérables, tous ceux qui veillaient à la garde et au gouvernement de l’État, comment défendrons-nous leur