Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/568

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l’autorité de cet ordre ne manque à la république. Nous seuls, je le dis ouvertement, nous seuls, consuls sans vertu, nous manquons à nos devoirs.

II. Autrefois un sénatus-consulte chargea le consul Opimius de pourvoir au salut de l’État. La nuit n’était pas encore venue, et déjà, vainement protégé par la gloire de son père, de son aïeul, de ses ancêtres, C. Gracchus avait payé de sa tête quelques projets séditieux dont on le soupçonnait ; déjà le consulaire M. Fulvius avait subi la mort avec ses enfants. Un décret semblable remit le sort de la patrie aux mains des consuls Marius et Valérius. S’écoula-t-il un seul jour sans que la mort et la vengeance des lois eussent atteint le tribun Saturninus et le préteur C. Servilius ? et nous qui avons reçu du sénat les mêmes armes, nous laissons depuis vingt jours s’émousser dans nos mains le glaive de son autorité. Car ce décret salutaire, nous l’avons aussi ; mais enfermé dans les archives publiques, comme une épée dans le fourreau, il demeure inutile. Si je l’exécutais, tu mourrais à l’instant, Catilina. Tu vis ; et tu vis, non pour déposer, mais pour fortifier ton audace. Pères conscrits, je voudrais être clément ; je voudrais aussi que la patrie, menacée de périr, ne m’accusât point de faiblesse. Mais déjà je m’en accuse moi-même ; je condamne ma propre lâcheté. Une armée prête à nous faire la guerre est campée dans les gorges de l’Étrurie ; le nombre des ennemis s’accroît de jour en jour ; le général de cette armée, le chef de ces ennemis est dans nos murs ; il est dans le sénat ; vous l’y voyez méditant sans cesse quelque nouveau moyen de bouleverser la république. Si j’ordonnais en ce moment, Catilina, que tu fusses saisi, livré à la mort, qui pourrait trouver ma justice trop sévère ! Ah ! je craindrais plutôt que tous les bons citoyens ne la jugeassent trop tardive. Mais ce que j’aurais dû faire depuis longtemps, des motifs puissants me décident à ne pas le faire encore. Tu recevras la mort, Catilina, lorsqu’on ne pourra plus trouver un homme assez méchant, assez pervers, assez semblable à toi, pour ne pas convenir que ton supplice fut juste. Tant qu’il en restera un seul qui ose te défendre, tu vivras, mais tu vivras comme tu vis maintenant, entouré de surveillants et de gardes. Je t’en assiégerai tellement, que ton bras, armé contre la république, sera contraint de rester immobile. Des yeux toujours ouverts, des oreilles toujours attentives continueront, à ton insu, d’observer tes pas, de recueillir tes discours.

III. Eh ! que peux-tu espérer encore, si les ombres de la nuit ne cachent point à nos regards tes assemblées criminelles ; si, perçant les murailles où tu la crois enfermée, la voix de ta conjuration éclate et retentit au dehors ? Renonce, crois-moi, renonce à tes projets ; cesse de penser aux meurtres et à l’incendie ; tu es enveloppé de toutes parts ; tous tes desseins sont pour nous plus clairs que la lumière. Je peux même t’en retracer le fidèle tableau. Te souviens-tu que le douzième jour avant les calendes de novembre, je dis dans le sénat que le sixième jour après celui où je parlais, Mallius, le satellite et le ministre de ton audace, se montrerait en armes ? Me suis-je trompé, Catilina, sur un fait si important, si horrible, si incroyable ; et ce qui est plus étonnant, me suis-je trompé sur le jour ? J’ai dit aussi