Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/569

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dans le sénat que tu avais fixé, au cinq avant les mêmes calendes, le massacre de ce que Rome a de plus illustre. Aussi les premiers citoyens s’éloignèrent-ils de la ville, moins pour échapper à tes coups que pour préparer les moyens d’en garantir l’État. Peux-tu nier que ce jour-là même, étroitement gardé par ceux que ma vigilance avait placés autour de toi, tu frémis de ne pouvoir troubler la république ? Tu te consolais cependant du départ des autres, en disant que, puisque j’étais resté, ma mort te suffisait. Et le premier jour de novembre, lorsqu’à la faveur de la nuit tu croyais surprendre la ville de Préneste, as-tu remarqué par combien de précautions j’avais assuré la défense de cette colonie ? Tu ne fais pas une action, tu ne formes pas un projet, tu n’as pas une pensée, dont je ne sois averti ; je dis plus, dont je ne sois le témoin et le confident.

IV. Enfin, rappelle à ta mémoire l’avant-dernière nuit, et tu comprendras que je veille encore avec plus d’activité pour le salut de la république, que toi pour sa perte. Je dis que l’avant-dernière nuit tu te rendis (je parlerai sans déguisement) dans la maison du sénateur Léca. Là se réunirent en grand nombre les complices de tes criminelles fureurs. Oses-tu le nier ? Tu gardes le silence ! Je te convaincrai, si tu le nies ; car je vois ici, dans le sénat, des hommes qui étaient avec toi. Dieux immortels ! où sommes-nous ? dans quelle ville, ô ciel ! vivons-nous ! quel gouvernement est le nôtre ? Ici, pères conscrits, ici même, parmi les membres de cette assemblée, dans ce conseil auguste, où se pèsent les destinées de l’univers, des traîtres conspirent ma perte, la vôtre, celle de Rome, celle du monde entier. Et ces traîtres, le consul les voit, il prend leur avis sur les grands intérêts de l’État ; quand leur sang devrait déjà couler, il ne les blesse pas même d’une parole offensante : Oui, Catilina, tu as été chez Léca l’avant-dernière nuit ; tu as partagé l’Italie entre tes complices ; tu as marqué les lieux où ils devaient se rendre ; tu as choisi ceux que tu laisserais à Rome, ceux que tu emmènerais avec toi ; tu as désigné l’endroit de la ville où chacun allumerait l’incendie ; tu as déclaré que le moment de ton départ était arrivé ; que si tu le retardais, de quelques instants, c’était parce que je vivais encore. Alors il s’est trouvé deux chevaliers romains qui, pour te délivrer de cette inquiétude, t’ont promis de venir chez moi cette nuit-là même, un peu avant le jour, et de m’égorger dans mon lit. À peine étiez-vous séparés que j’ai tout su. Je me suis entouré d’une garde plus nombreuse et plus forte. J’ai fermé ma maison à ceux qui, sous prétexte de me rendre leurs devoirs, venaient de ta part pour m’arracher la vie. Je les avais nommés d’avance à plusieurs de nos premiers citoyens, et j’avais annoncé l’heure où ils se présenteraient.

V. Ainsi, Catilina, achève tes desseins ; sors enfin de Rome ; les portes sont ouvertes, pars : depuis trop longtemps l’armée de Mallius, ou plutôt la tienne, attend son général. Emmène avec toi tous tes complices, du moins le plus grand nombre ; que la ville en soit purgée. Je serai délivré de mortelles alarmes, dès qu’un mur me séparera de toi. Non, tu ne peux vivre plus longtemps avec nous ; je ne pourrais le souffrir ; je ne dois pas le permettre. Grâces soient à jamais rendues aux dieux immortels, et surtout à celui qu’on révère