Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/572

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ma colère ; je les ai dévorés en silence. Mais être condamnée à de perpétuelles alarmes à cause de toi seul ; ne voir jamais mon repos menacé que ce ne soit par Catilina ; ne redouter aucun complot qui ne soit lié à ta détestable conspiration, c’est un sort auquel je ne peux me soumettre. Pars donc, et délivre-moi des terreurs qui m’obsèdent si elles sont fondées, afin que je ne périsse point ; si elles sont chimériques, afin que je cesse de craindre."

VIII. Si la patrie te parlait ainsi, ne devrait-elle pas obtenir de toi cette grâce, quand même elle ne pourrait te l’arracher par force ? C’est peu ; tu as prononcé toi-même ta condamnation en consentant que la liberté te fût ravie. N’as-tu pas dit que, pour éviter les soupçons, tu voulais habiter la maison de M. Lépidus ? Repoussé par lui, n’as-tu pas osé venir chez moi, afin d’y rester prisonnier ? Et moi aussi j’ai répondu que jamais je ne pourrais vivre en sûreté dans la même maison que toi, puisque je ne pouvais, sans un péril extrême, demeurer dans la même ville. Également rebuté par le préteur Métellus, tu as cherché un asile chez ton digne ami, l’honnête Marcellus. Tu étais persuadé, sans doute, de sa vigilance à te garder, de sa pénétration à deviner tes projets, de son énergie à les réprimer. Pères conscrits, croyez-vous qu’il soit loin de mériter la prison et les fers, l’homme qui de lui-même se juge indigne de conserver sa liberté ? Ainsi, Catilina, puisque tu ne peux ici achever en repos ta misérable carrière, que tardes-tu à fuir dans quelque pays lointain, et à cacher dans la solitude une vie qu’a tant de fois épargnée le glaive de la justice ?

Tu veux que je propose au sénat le décret de ton exil ; et s’il plaît à cette assemblée de le prononcer, tu promets d’obéir. Non, Catilina, je ne ferai pas une proposition qui répugne à mon caractère ; et cependant tu vas connaître la volonté de tes juges… Sors de Rome, Catilina ; délivre la république de ses craintes ; pars ; oui, si c’est ce mot que tu attends, pars pour l’exil… Que vois-je, Catilina ? Remarques-tu l’effet de cette parole ? le silence des sénateurs ? ils m’entendent, et ils se taisent. Qu’est-il besoin que leur voix te bannisse, lorsque, sans parler, ils prononcent si clairement ton arrêt ? Si j’en disais autant au vertueux P. Sextius, au noble et généreux M. Marcellus, déjà, malgré mon titre de consul, malgré la sainteté de ce temple, le sénat soulevé contre moi m’eût accablé de sa juste colère. Mais c’est à toi que je parle, Catilina, et il le souffre ; il reste calme ; il se tait : calme qui m’approuve et te condamne, silence qui parle plus haut que tous les discours ! Et tes juges, ce ne sont pas seulement ces sénateurs, dont sans doute tu respectes beaucoup l’autorité, quand tu comptes pour si peu leur vie ; ce sont encore ces illustres et vertueux chevaliers romains ; ce sont tous ces généreux citoyens qui environnent le sénat, et dont tu as pu tout à l’heure voir l’affluence, remarquer l’indignation, entendre les murmures. Il y a longtemps que j’ai peine à contenir leurs bras armés pour te frapper. Mais si tu quittes enfin ces murs, où tu veux porter le ravage et l’incendie, j’obtiendrai facilement qu’ils te fassent cortège jusqu’aux portes de la ville.

IX. Mais que dis-je ? espérer que rien brise