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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/573

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ton inflexible caractère ! que tu reviennes jamais de ta perversité ! que tu aies conçu l’idée de fuir ! que tu penses à t’exiler ! Ah ! que les dieux ne t’en ont-ils inspiré la résolution ? Je ne l’ignore pas ; si la terreur de mes discours te force à l’exil, tous les orages de la haine, suspendus peut-être quelque temps par la mémoire encore présente de tes crimes, éclateront tôt ou tard sur ma tête. Eh bien, je me dévoue à tous les périls, pourvu que les malheurs qui fondront sur moi épargnent la république. Mais que tu aies horreur de tes déportements, que tu redoutes la vengeance des lois, que tu fasses à la patrie le plus léger sacrifice, c’est ce qu’il ne faut pas te demander. Non, Catilina, il n’est pas croyable que la honte puisse t’arracher au crime, ni la crainte t’éloigner du danger, ni la raison désarmer ta fureur. Ainsi, je te le répète encore, pars ; et puisque tu m’appelles ton ennemi, si tu veux soulever contre moi toutes les haines, va droit en exil. Alors je soutiendrai à peine les clameurs de l’envie ; alors tout l’odieux de ton bannissement pèsera sur le consul qui ose l’ordonner. Mais si tu aimes mieux servir les intérêts de ma gloire, sors avec la foule impie de tes complices ; rends-toi auprès de Mallius ; rassemble tous les mauvais citoyens, sépare-toi des bons ; fais la guerre à ta patrie ; arbore en triomphant l’étendard du brigandage. On ne dira pas alors que je t’ai chassé dans une terre étrangère : je n’aurai fait que t’inviter à rejoindre les tiens. Mais qu’ai-je besoin de t’y inviter, quand je sais que déjà tu as fait partir des gens armés pour t’attendre sur la voie Aurélia ; que le jour est arrêté ; que tu en es convenu avec Mallius ? quand je sais que tu as envoyé devant toi cette aigle d’argent qui, je l’espère, te sera fatale, ainsi qu’à tous les tiens ; cette aigle à laquelle tu as consacré dans ta maison un sanctuaire, où tu lui offrais le crime pour encens ? Eh quoi ! tu resterais plus longtemps éloigné de cet objet de ton culte, auquel tu ne manquas jamais d’adresser ton hommage sacrilège en partant pour un assassinat, et dont tu as si souvent quitté les autels pour aller tremper tes mains dans le sang des citoyens !

X. Tu iras donc enfin, tu iras où t’appelle depuis longtemps un désir effréné, tu suivras le penchant qui t’entraîne. Ce départ, loin de t’affliger, te remplit en effet de je ne sais quelle inexprimable joie. C’est pour de telles fureurs que la nature t’a fait naître, que l’exercice t’a formé, que la fortune t’a réservé. Ennemi du repos, la guerre même ne te plut jamais, si elle n’était criminelle. Tu as trouvé une armée selon tes vœux : elle est composée de scélérats renoncés de la fortune, abandonnés même de l’espérance. Quel contentement tu vas goûter au milieu d’eux ! quels transports d’allégresse ! quelle ivresse de plaisir, lorsque dans la foule innombrable des tiens, tu n’entendras, tu ne verras aucun homme de bien ! C’était sans doute afin de te préparer à cette glorieuse vie, que tu t’exerçais, homme infatigable, à coucher sur la dure, pour épier le moment d’attenter à l’honneur des familles ou à la vie des citoyens ; à veiller toute la nuit, pour profiter du sommeil d’un époux ou de la sécurité d’un homme riche. C’est à présent que tu pourras signaler cet admirable courage à supporter la faim, le froid, toutes les privations dont tu vas bientôt te sentir accablé. J’ai rendu au moins un service à la patrie en t’éloignant du consulat. Elle peut être attaquée par un banni ; elle ne sera point déchirée