Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/616

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la même gloire que le vainqueur de Carthage dans celui d’Africain. C’est aussi dans cette guerre que se distingua M. Caton, votre bisaïeul ; et cet illustre citoyen que je me représente avec le caractère que je vous connais, n’eût jamais accompagné Scipion, s’il avait cru n’avoir que des femmes à combattre. Et pour que le sénat ait engagé l’Africain à partir comme lieutenant de son frère, lui qui venait de chasser Hannibal de l’Italie et de le forcer à s’exiler de l’Afrique, lui qui par la ruine de Carthage avait délivré la république des plus grands périls, il fallait bien que cette guerre fût regardée comme importante et difficile.

XV. Maintenant si vous considérez avec soin la puissance de Mithridate, ses actions et son caractère, assurément vous le mettrez au-dessus de tous les rois que le peuple romain a eus à combattre. C’est lui que Sylla, cet habile général, pour ne rien dire de plus, à la tête d’une armée nombreuse et aguerrie, après l’avoir irrité par une victoire, laissa sortir en paix de l’Asie ravagée par ses armées ; c’est lui que L. Muréna, père de l’accusé, malgré la vigueur et l’opiniâtreté de ses attaques, repoussa sur presque tous les points, mais laissa encore debout ; enfin c’est ce roi qui, après quelques années employées à réparer ses pertes et à rassembler de nouvelles forces, reparut si puissant et si redoutable, qu’il put se flatter un instant d’unir l’Océan avec le Pont, les troupes de Sertorius avec les siennes. Deux consuls furent chargés de la conduite de cette guerre : l’un devait poursuivre Mithridate, l’autre couvrir la Bithynie. Les échecs essuyés par le second sur terre et sur mer ne firent qu’augmenter encore la puissance et la gloire de ce roi. Mais Lucullus obtint de si brillants succès, qu’on ne peut citer de campagne plus importante et qui ait été conduite avec plus de prudence et de courage. En effet, lorsque tout l’effort de la guerre s’était concentré autour des murs de Cyzique, place que Muréna regardait comme la clef de l’Asie, et dont la prise et la ruine devaient lui ouvrir l’entrée de la province, Lucullus prit si bien ses mesures qu’il garantit de tout péril une ville alliée, et réduisit en même temps l’armée du roi à s’épuiser dans les longueurs d’un siège inutile. Et ce combat naval de Ténédos, lorsque, sous les ordres des chefs les plus intrépides, la flotte ennemie, voguant à pleines voiles, s’avançait vers l’Italie, enflée d’ardeur et d’espérance ; croyez-vous que ce n’ait été qu’une simple rencontre et que le succès n’ait pas été disputé ? Je passe sous silence de nombreux combats et des sièges fameux. Chassé enfin de ses États, Mithridate eut encore la puissance et l’adresse d’attacher à ses intérêts le roi d’Arménie, et de trouver de nouvelles ressources pour relever sa fortune.

XVI. Si j’avais à parler ici des exploits de notre armée et de son général, il me serait facile de vous rappeler un grand nombre de combats glorieux ; mais ce n’est point de cela qu’il s’agit. Je soutiens seulement que si cette guerre, si cet ennemi, si ce roi avaient été à mépriser, le sénat et le peuple romain n’auraient pas attaché tant d’importance à entreprendre cette expédition, et mis une telle persévérance à la continuer pendant tant d’années ; Lucullus n’y aurait pas acquis tant de gloire, et le peuple romain ne se serait pas si fort