Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que dis-je ? son air, son regard, tout montrait en lui l’ennemi des premiers ordres de l’État, le persécuteur de tous les gens de bien, le fléau de sa patrie. Accablé, abattu par sa disgrâce, Sylla pensait que de son ancien lustre il ne lui restait que ce que sa modération en avait pu conserver. Et dans la conjuration qui nous occupe, fut-il liaison plus intime que celle d’Autronius avec Catilina, avec Lentulus ? Jamais la vertu établit-elle entre des hommes une société aussi étroite que le crime, la licence, l’audace, entre les conjurés ? Est-il une infamie que Lentulus n’ait pas conçue avec Autronius ? un attentat que Catilina ait osé commettre, sans lui ? Cependant Sylla, loin de chercher avec de tels hommes la nuit et la solitude, n’avait pas même avec eux le moindre entretien, la moindre entrevue. Les Allobroges, ces dénonciateurs véridiques de faits si importants, beaucoup de lettres de délations se réunissent pour convaincre Autronius ; Sylla ne fut dénoncé, ne fut nommé par personne. Enfin, lorsque Catilina eut été chassé de Rome ou qu’il s’en fut échappé, Autronius lui envoya des armes, des clairons, des trompettes, des faux, des étendards de légion : laissé dans la ville, attendu au dehors, retenu par le supplice de Lentulus, il éprouva enfin quelque crainte, jamais de repentir. Sylla au contraire s’est tenu tranquille, et pendant tout ce temps est resté à Naples, dont les habitants n’ont jamais été soupçonnés d’avoir eu part à ce complot ; et l’on sait que ces beaux lieux semblent moins propres à irriter un cœur aigri par la disgrâce qu’à le consoler.

VI. Voyant donc une si grande différence dans les personnes et dans leur cause, je me suis comporté différemment pour l’un et pour l’autre. Autronius venait à moi, il y venait souvent, me supplier avic larmes de le défendre. Il me rappelait qu’il avait été mon condisciple dans l’enfance, mon ami intime dans la première jeunesse, mon collègue dans la questure : il mettait en avant de nombreux services que je lui avais rendus, quelques-uns même que j’avais reçus de lui. Ces motifs me touchaient et m’attendrissaient au point de me faire oublier ses attentats contre ma vie ; quoiqu’il eût envoyé chez moi C. Cornélius pour m’égorger dans ma maison, sous les yeux de ma femme et de mes enfants, j’en perdais le souvenir. S’il n’en eût voulu qu’à moi seul, certes avec ma facilité et ma douceur, je n’aurais jamais résisté à ses larmes et àses prières : mais quand la patrie, quand vos périls, quand cette ville, ces temples, ces autels, quand ces tendres enfants, ces mères et leurs filles venaient s’offrir à mon esprit ; quand ces flambeaux allumés pour notre ruine, pour l’embrasement de Rome entière ; quand les glaives, les massacres, le sang des citoyens, les cendres de la patrie, se présentaient à mes yeux, quand tous ces souvenirs douloureux ulcéraient de nouveau mon cœur : alors je résistais, non-seulement à cet ennemi public, à ce parricide, mais encore à ses parents, aux Marcellus père et fils, dont l’un était pour moi comme un père vénérable, et l’autre comme un fils bien-aimé ; et je ne croyais pas pouvoir, sans être le plus coupable des hommes, après avoir puni un crime dans plusieurs citoyens, le défendre dans celui que je savais être leur complice. Mais en même temps je n’ai pu tenir contre les supplications de Sylla, ni soutenir l’aspect de ces mêmes Marcellus pleurant sur ses périls, ni résister aux prières de M. Messalla, mon fidèle