Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/647

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informations judiciaires, ce qu’il faut examiner, ce n’est pas si un accusé est déchargé, mais s’il est chargé. En effet, lorsque Cassius dit qu’il ne sait pas, veut-il ménager Sylla, ou prouve-t-il qu’il ne sait rien ? Il le ménage, dit-on, auprès des Gaulois ? Pourquoi ? De peur qu’ils ne le dénoncent ? Mais s’il avait craint leurs dénonciations, aurait-il fait des aveux qui pussent le compromettre lui-même ? Il ne savait rien. Sans doute on avait fait à Cassius un mystère du seul Sylla. Car il connaissait avec certitude tous les autres conjurés ; et c’était une chose constante que la plupart des projets avaient été formés dans sa maison. Comme pour donner plus de confiance aux Gaulois, il ne voulait pas nier que Sylla fût de la conjuration ; et qu’il n’osait pas non plus dire une fausseté, il dit qu’il ne savait pas. Or il est clair que, connaissant tous les conjurés, et disant qu’il ne savait rien au sujet de Sylla, il donnait à cette dénégation une singulière valeur : par là il déclarait savoir que Sylla n’était pas de la conjuration. En effet, lorsqu’il est certain qu’un homme avait connaissance de tous les coupables, son ignorance sur le compte d’un citoyen doit être une justification pour celui-ci. Mais ici je n’examine point si Cassius décharge Sylla ; il me suffit qu’il n’y ait rien contre Sylla dans la dénonciation.

XIV. Repoussé de ce côté, Torquatus revient à la charge, et c’est moi qu’il accuse. J’ai, dit-il, porté sur les registres autre chose que ce qui a été déclaré. O dieux immortels (car je vous rends ce qui vous appartient ; et je ne saurais attribuer à mon seul génie d’avoir pu de moi-même, dans cette affreuse tempête qui menaçait la république, distinguer tant de choses si grandes, si variées, si subites) ! c’est vous assurément qui avez enflammé mon âme du désir de sauver la patrie ; c’est vous qui avez détourné mon esprit de toute autre pensée pour l’appliquer uniquement au salut de la république ; c’est vous enfin, qui, au milieu des épaisses ténèbres de l’ignorance et de l’erreur, m’avez éclairé d’une si vive lumière. J’ai donc vu, Romains, que, si je ne conservais à cette déclaration toute son autorité en la consignant dans nos monuments oubliés, lorsque les souvenirs du sénat étaient encore récents, un jour viendrait où, non pas Torquatus, non pas un citoyen semblable à Torquatus (car en cela je me suis bien trompé), mais un de ces hommes qui survivent à la ruine de leur patrimoine ; qui haïssent la tranquillité publique, qui font la guerre aux gens de bien, prétendrait que les dénonciations avaient été autres qu’elles ne sont dans les registres, et espérerait ainsi, en soulevant des orages contre nos meilleurs citoyens, trouver dans les maux de la république un port après le naufrage de sa fortune. Ayant donc introduit les dénonciateurs dans le sénat, je chargeai quelques sénateurs d’écrire exactement toute l’information, les questions et les réponses. Mais quels hommes ai-je choisis ? non-seulement des hommes d’une vertu et d’une bonne foi parfaite, tels que le sénat en compte un grand nombre ; mais ceux que leur mémoire, leurs connaissances, l’habitude et la facilité d’écrire promptement, rendaient le plus capables de suivre et de rédiger à l’instant même tout ce qui se disait : C. Cosconius, alors préteur ; M. Messalla, candidat à la préture ; C. Nigidius, App. Claudius. Personne ne croira, je pense, que ces hommes aient manqué de droiture ou de talent pour reproduire fidèlement la vérité.

XV. Qu’ai-je fait ensuite ? Sachant que la dénonciation était portée sur les registres publics, mais que ces registres devaient être gardés chez