Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/648

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moi, selon la coutume de nos ancêtres ; je ne les ni pas tenus cachés, renfermés dans ma maison ; mais je les ai fait copier aussitôt par tous les écrivains : j’ai fait distribuer, répandre, publier ces copies, pour tout le peuple romain ; j’en ai distribué par toute l’Italie ; j’en ai envoyé dans toutes les provinces : j’ai voulu que cette dénonciation qui avait sauvé tout le monde, ne fût ignorée de personne. Aussi je prétends qu’il n’est dans l’univers aucun lieu, s’il n’est étranger au nom romain, où ne soit parvenue une copie de cette dénonciation. Dans une crise si imprévue, si pressante, si orageuse, par une inspiration divine, comme je l’ai déjà dit, et non de moi-même, j’ai pourvu à beaucoup de choses : j’ai fait en sorte que personne ne pût raconter des périls de la république ou de ceux de quelque particulier tout ce qu’il lui plairait d’imaginer ; ensuite, qu’il ne fût jamais possible d’attaquer la dénonciation ou de nous accuser de l’avoir crue légèrement ; enfin, qu’on ne me demandât jamais rien, ni à moi ni à mes registres, qu’on ne pût me reprocher d’avoir trop oublié ou trop retenu et qu’on ne me soupçonnât d’une négligence honteuse ou d’une exactitude cruelle.

Cependant, je te le demande, Torquatus ; puisque ton ennemi avait été dénoncé ; puisque la chose s’était passée en plein sénat, que la mémoire en était toute récente ; puisque toi, mon ami intime, qui vivais avec moi, tu aurais pu, si tu l’avais voulu, obtenir de mes secrétaires une copie de la dénonciation avant même qu’ils l’eussent portée sur les registres : toi qui voyais qu’elle n’était pas exacte, pourquoi as-tu gardé le silence ? pourquoi l’as-tu souffert ? pourquoi ne t’en es-tu pas plaint à moi ou à quelqu’un de mes intimes ? ou, puisque tu t’emportes si facilement contre tes amis, pourquoi ne m’as-tu pas accusé avec colère, avec violence ? Quoi ! ta voix ne s’est pas fait entendre une seule fois ; la dénonciation lue, copiée, publiée, tu es resté tranquille, tu as gardé le silence ; et tout à coup tu oses alléguer une imputation aussi grave ! et tu te réduiras à ce point qu’avant de m’accuser d’avoir dénaturé la dénonciation, tu te reconnaisses toi-même, par ton propre jugement, convaincu de la plus coupable négligence !

XVI. Et moi, pour sauver l’honneur d’un autre, j’aurais négligé le mien ? Cette vérité que j’ai mise au grand jour, je la souillerais par un mensonge ; je défendrais un citoyen que je saurais avoir été un cruel ennemi pour la république, et surtout pour moi, pour le consul ! Quand j’aurais oublié ace point mon devoir et mes principes, aurais-je eu la folie de croire que, si les écrits ont été imaginés pour instruire la postérité en sauvant les faits de l’oubli, une copie de la dénonciation, faite chez moi, pût étouffer le souvenir récent qu’en avait tout le sénat ?

Je supporte depuis longtemps tes outrages, Torquatus, je les supporte ; et quoique irrité, disposé à les punir, je me retiens encore et je m’arrête. Je passe quelque chose à ton ressentiment, je pardonne à ta jeunesse, je fais des concessions à l’amitié, à mon estime pour ton père. Mais si tu ne t’imposes toi-même certaines bornes, tu me forceras d’oublier notre liaison, pour ne songer qu’à ma dignité. Personne ne m’a jamais blessé par le plus léger soupçon, que je n’aie pris une éclatante revanche. Crois-moi, je te le conseille, je ne réponds pas volontiers à ceux qui me semblent trop faciles à vaincre : et puisque tu sais comment je me sers de la parole, n’abuse pas de cette douceur qui m’est toute nouvelle. Ne pense