Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/649

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pas que ces aiguillons qui arment mes discours soient anéantis, parce que je les tiens renfermés : fct ne crois pas que j’ai perdu ma force, parce que je me modère, parce que je te fais grâce. Je veux bien excuser tes outrages en considération de ta colère, de ton âge, de notre amitié ; je ne te crois pas non plus assez fort pour soutenir une lutte avec moi : si tu avais plus d’âge et plus d’expérience, je serais ce que je suis toujours lorsqu’on me provoque. Aujourd’hui je te traiterai de manière à paraître plutôt avoir supporté une injure que l’avoir punie.

XVII. Mais d’ailleurs, qui donc t’irrite contre moi ? je ne puis le comprendre. Est-ce parce que je défends celui que tu accuses ? Mais pourquoi ne m’irriterais-je pas aussi contre toi, parce que tu accuses celui que je défends ? J’accuse, dis-tu, un ennemi. Et moi, je défends un ami. — Tu ne dois défendre personne dans une affaire de conjuration. — Au contraire, personne n’a plus le droit de défendre un homme contre lequel il n’a jamais eu le plus léger soupçon, que celui qui en a soupçonné tant d’autres. — Pourquoi as-tu déposé contre d’autres ? — Parce que j’y étais contraint. — Pourquoi ont-ils été condamnés ? — Parce qu’on en a cru mon témoignage. — C’est être despote, que de déposer contre qui l’on veut, et de défendre qui l’on veut. — Mais plutôt c’est être esclave que de ne pas déposer contre qui l’on veut, de ne pas défendre qui l’on veut. Et pour peu que tu veuilles examiner s’il m’était plus nécessaire de le défendre qu’à toi de l’accuser, tu verras qu’il eût été plus honorable pour toi de réprimer ta haine, que pour moi, de mettre des bornes à ma bienveillance. Que dis-je, lorsqu’il était question pour ta famille du plus haut degré d’honneur, c’est-à-dire, du consulat de ton père ; ton père, cet homme si sage ne s’est point fâché contre ses amis les plus intimes qui défendaient Sylla, et faisaient son éloge. Il comprenait fort bien cette institution transmise par nos ancêtres : qu’aucune amitié ne doit nous empêcher de défendre un malheureux, et la contestation d’alors était bien différente du jugement d’aujourd’hui. Alors par la disgrâce de Sylla, la dignité de consul vous était acquise, comme elle vous le fut en effet. On se disputait le premier honneur de Rome ; vous prétendiez qu’il vous avait été enlevé, vous le redemandiez à grands cris ; vaincus au Champ de Mars, vous vouliez vaincre au tribunal. Ceux qui alors défendaient Sylla contre vous, étaient vos meilleurs amis ; et cependant yous n’étiez pas irrités contre eux ; ils vous enlevaient le consulat, vous disputaient le suprême honneur ; et cependant ils le faisaient sans violer l’amitié, sans manquer à aucun devoir, autorisés par l’exemple et la coutume des meilleurs citoyens de tous les temps. Et moi, quels honneurs ai-je voulu te ravir ? Comment est-ce que j’attaque ta dignité ? Que demandes-tu maintenant à Sylla ? A ton père a été déféré le suprême honneur ; à toi, l’éclat qui l’environne. Orné de ses dépouilles, tu viens pour déchirer celui que tu as mis à mort ; moi je défends, je protège un malheureux abattu, dépouillé ; et encore tu me blâmes de ce que je le défends, tu t’emportes contre moi. Pour moi, loin de m’irriter, je ne blâme pas même ton action : je pense que tu as décidé d’avance ce que tu avais à faire, et que tu es capable d’être toi-même le juge de ta conduite.