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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/705

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tenais de chacun en particulier, vous me les avez rendus aujourd’hui tous à la fois.

II. Il me semble donc, pères conscrits, que je reçois de vous une faveur qui passe tous les désirs de l’homme, une espèce d’immortalité. Telle est, en effet, votre générosité pour moi, que la mémoire et l’éclat n’en périront jamais. Dans le temps même où la violence, les poignards, la crainte et les menaces vous tenaient assiégés, vous m’avez unanimement rappelé, peu après mon départ, sur le rapport de L. Ninnius, de ce vertueux et intrépide citoyen, qui, pendant cette funeste année, s’est montré mon plus fidèle défenseur, comme il eût été le plus brave, si j’avais voulu combattre. Puis quand la faculté de prononcer sur mon sort vous fut interdite par un tribun du peuple, qui, ne pouvant déchirer lui-même la république, la détruisit par les fureurs d’autrui, vous ne cessâtes jamais de faire entendre mon nom, jamais de réclamer mon salut auprès de ces consuls qui en avaient trafiqué. Ce fut aussi par votre zèle et par votre autorité qu’en cette même année, dont j’avais mieux aimé attirer les orages sur moi que sur la patrie, huit tribuns sollicitèrent publiquement mon rappel, et vous le proposèrent plusieurs fois ; car ces consuls modestes et respectant les lois, trouvaient des obstacles non pas dans une loi portée contre moi, mais dans celle-là même qui fut portée contre eux, lorsque mon ennemi publia hautement que je ne reviendrais que quand reviendraient à la vie ceux dont les complots avaient presque renversé cet empire ; et par là confessant, et ses regrets de les avoir perdus, et l’immense péril qui menacerait la république si, les ennemis et les meurtriers de la république revenant au monde, je ne revenais pas à Rome. Ainsi, dans l’année même où je cédai à la violence ; où le premier homme de l’État, dépourvu de la protection des lois, n’avait plus, pour abriter sa tête, que les murs de sa maison ; où la république, sans consuls, avait perdu non seulement ceux qui lui tenaient lieu de pères, mais ses tuteurs annuels ; où vous ne pouviez plus opiner librement ; où l’on vous opposait sans cesse la loi de proscription lancée contre moi : jamais vous n’avez craint d’associer mon salut au salut commun.

III. Aux calendes de janvier, la rare et courageuse vertu du consul P. Lentulus vous avait fait sortir enfin des épaisses ténèbres de l’année précédente, et vous commenciez à voir briller le jour ; d’un côté, le noble caractère de Q. Métellus, si digne de ses aïeux, et de l’autre, la généreuse fidélité des préteurs et de presque tous les tribuns du peuple, étaient venus au secours de Rome ; Pompée qui, par sa bravoure, sa gloire et ses exploits, a éclipsé sans contredit les plus grands hommes de tous les peuples et de tous les siècles, pensait pouvoir venir sans crainte au sénat : alors vous vous réunîtes pour mon rappel avec un concert si parfait, que ma dignité, pour ainsi dire, était déjà rentrée dans Rome, quoique ma personne en fût encore absente. Pendant ce mois, vous avez pu juger combien nous différions, mes ennemis et moi : moi, j’ai abandonné ma patrie, pour qu’elle ne fût point tachée du sang des citoyens ; mes ennemis ont cru devoir opposer à mon retour, non pas les suffrages du peuple, mais des flots de sang. Aussi, après cette époque, vous ne répondîtes plus, ni aux citoyens, ni aux