Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/706

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alliés, ni aux monarques ; les arrêts des tribunaux, les suffrages du peuple, les décrets de cet ordre, tout était suspendu ; le forum était muet ; le sénat, sans voix ; toute la ville, dans l’abattement et le silence. C’est alors, c’est pendant que s’éloignait celui qui, autorisé par vous, avait empêché les incendies et les massacres, que vous avez vu partout dans Rome le fer et la flamme ; les maisons des magistrats attaquées, les temples des dieux embrasés ; les faisceaux d’un illustre consul, brisés ; la personne inviolable et sacrée d’un brave et excellent tribun, je ne dis pas seulement frappée et insultée, mais couverte de blessures. Dans cet affreux désordre, plusieurs magistrats, ou craignant pour eux-mêmes, ou désespérant de la république, abandonnèrent pour un peu de temps ma cause : quant aux autres, ni la frayeur, ni la violence, ni l’espoir, ni la crainte, ni les promesses, ni les menaces, ni le fer, ni le feu, rien ne put les empêcher de travailler à mon rappel, de défendre l’autorité du sénat et la majesté du peuple.

IV. À leur tête, P. Lentulus, un père, le dieu de ma vie, de ma fortune, de ma gloire et de mon nom, crut que ce serait illustrer son courage, sa grandeur d’âme et son consulat, que de me rendre à moi-même, aux miens, à vous et à la patrie. Dès qu’il fut désigné, il n’hésita jamais à faire sur mon rappel une proposition digne de la république et de lui. Malgré l’opposition d’un tribun et la lecture de ce bel article de la loi QUI DÉFENDAIT DE VOUS FAIRE UN RAPPORT, DE PARLER DE MON RAPPEL, D’OUVRIR UN AVIS, D’ADOPTER L’AVIS D’UN AUTRE DE PORTER UN DÉCRET, D’ASSISTER MÊME A LA RÉDACTION, Lentulus ne vit qu’une proscription et non une loi, dans cette loi prétendue par laquelle un citoyen qui avait bien mérité de la république s’était vu, sans jugement, enlevé nommément à la république avec le sénat. Dès qu’il fut entré en exercice, il s’occupa avant tout, que dis-je ? il s’occupa uniquement d’affermir pour la suite, en me rappelant, la dignité de cet ordre et votre autorité. Dieux immortels, que ne vous dois-je pas pour avoir voulu que Lentulus fût consul cette année ! combien ne vous devrais-je pas davantage, s’il l’eût été l’année précédente ! Je n’aurais pas eu besoin d’être relevé par une main consulaire, si des violences consulaires ne m’eussent renversé. Un homme sage, un bon citoyen, Q. Catulus, me disait que nous avions eu rarement un consul pervers, et que jamais nous n’en avions eu deux à la fois, excepté au temps de Cinna ; il ajoutait que je n’aurais rien à craindre, pourvu qu’il y eût un seul consul digne de ce nom. Il dit vrai, si la république n’avait jamais dû revoir ce qu’elle n’avait vu qu’une fois. Que si, dans l’année de Clodius, Q. Métellus lui-même eût été seul consul, doutez-vous qu’elles eussent été ses dispositions pour me retenir, lui qui a autorisé de son suffrage et de son nom le décret de mon rappel ? Mais il y avait deux consuls dont les âmes étroites, sordides, dépravées, ensevelies dans la fange et dans de ténébreuses débauches, ne pouvaient ni soutenir, ni envisager, ni embrasser l’idée même du consulat, la splendeur de cette magistrature, l’étendue d’un pareil pouvoir ; ce n’étaient pas des consuls, mais de vils acheteurs de provinces, des trafiquants de la dignité de votre ordre : l’un, en présence d’une foule de témoins,