Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/749

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votre avis, me croire déshonoré par votre crime ? Je suppose que le peuple romain, animé par la colère ou l’envie, m’eut en effet banni ; qu’ensuite, se rappelant mes services et revenu à lui-même, il eût réparé son imprudence et son injustice en me rétablissant dans ma patrie, assurément il n’y aurait point d’homme assez dépourvu de sens, pour croire qu’un pareil jugement, au lieu de m’être honorable, ferait ma honte. Maintenant que personne au monde ne m’a dénoncé devant le peuple ; que, n’ayant pas été accusé, je n’ai pu être condamné ; que mon départ n’a pas même été tellement forcé, que, si j’avais voulu combattre, je n’eusse pu vaincre ; que le peuple romain n’a cessé de me défendre, de m’élever, de m’honorer : qui oserait se flatter d’avoir plus que moi la faveur du peuple ?

Prenez-vous donc pour le peuple romain cette troupe de mercenaires qu’on excite à faire violence aux magistrats, à assiéger le sénat ; qui ne souhaitent que les meurtres, les incendies, les rapines ; espèce de peuple que vous ne pouviez cependant ramasser qu’en faisant fermer les boutiques, et à qui vous aviez donné pour commandants les Lentidius, les Lollius, les Plaguiéius, les Sergius ? Ô la belle image de cette grandeur, de cette majesté du peuple romain, qui fait trembler les rois, les nations étrangères et l’univers entier, que ce ramas d’esclaves, d’assassins payés, de misérables et de mendiants ! La beauté, la vraie image du peuple romain, vous l’avez vue à cette assemblée du Champ de Mars, ou il fut permis, même à vous, d’élever la voix contre l’autorité du sénat et de toute l’Italie. Ce peuple souverain des rois, vainqueur et législateur de toutes les nations, vous l’avez vu, scélérat, en ce jour à jamais mémorable, où les plus grands noms de la république, où les gens de tous âges et de tous rangs, croyaient donner leurs suffrages, non pour le rétablissement d’un particulier, mais pour le salut de l’État ; ou enfin l’on avait fermé, pour se rendre au Champ de Mars, non pas les boutiques, mais les villes.

XXXIV. Avec ce peuple, j’aurais résisté sans peine à votre fureur aveugle, à votre audace impie, si la république avait eu alors les consuls pour elle, ou qu’elle n’eût pas eu de consuls. Mais je ne voulus pas entreprendre, sans l’appui du peuple, de soutenir sa cause contre la violence armée : non que je désapprouvasse ce que fit de son propre mouvement Scipion Nasica, simple particulier ; mais le consul Mucius, plus équitable envers celui qui avait servi la patrie, qu’il n’avait paru lui-même ardent à la servir, fit rendre aussitôt plusieurs sénatus-eonsultes, non seulement pour justifier, mais pour honorer cette action. Moi, j’aurais eu à combattre, ou contre les consuls, si vous eussiez péri, ou tout à la fois contre eux et contre vous, si vous eussiez échappé. Il y avait même alors beaucoup d’autres choses à craindre : la sédition eût assurément gagné jusqu’aux esclaves, tant la haine contre les bons citoyens, profondément enracinée dans des cœurs coupables, continuait d’animer ces restes de l’ancienne conjuration !

Et vous me défendez, après cela, d’avoir de l’orgueil ! et vous trouvez insupportables les louanges que, selon vous, je ne cesse de me