Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/750

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donner ! et, en railleur excellent, vous me faites tenir des propos fort ingénieux. Vous dites que je ne cesse de me donner pour un autre Jupiter, et de me vanter que Minerve est ma sœur. Je ne suis ni assez arrogant pour me dire Jupiter, ni assez ignorant pour croire que Minerve soit sa sœur. Au moins, celle que j’adopte pour ma sœur, est vierge ; et vous, vous n’avez pu souffrir que votre sœur le fût. Mais ne devez-vous pas vous croire Jupiter, vous qui pouvez appeler la même personne et votre sœur et votre femme ?

XXXV. Et puisque vous me reprochez de me louer souvent moi-même, m’a-t-on jamais entendu parler de moi, si ce n’est de force et par nécessité ? Car enfin, je me suppose accusé de vols, de largesses séditieuses, d’infâmes débauches ; si je réponds que j’ai sauvé la république par ma prudence, par mon courage, par mes dangers, on peut croire que je ne parle de ma gloire que pour ne pas avouer ma honte : mais si, avant les tristes conjonctures où se trouve la république, on ne m’a jamais reproché que de prétendues rigueurs à cette époque ou je préservai la patrie de sa ruine, devais-je ne point répondre à cette injure, ou n’y faire qu’une réponse qui m’abaissât ?  ; Non, sans doute ; j’ai toujours cru que je devais, même pour l’intérêt de la république, soutenir, dans tous mes discours, le mérite et l’éclat d’une action glorieuse que je n’ai faite que par l’autorité du sénat, du consentement de tous les bons citoyens, et pour le salut de la patrie, surtout après avoir eu seul cet avantage sans exemple dans notre république, de pouvoir déclarer avec serment, en présence du peuple romain, que j’ai sauvé Rome et cet empire. Mais cette calomnie de cruauté est éteinte aujourd’hui, quand je viens d’être regretté, redemandé, ramené par les vœux de tous les citoyens, non comme un tyran cruel, mais comme le plus indulgent des pères. On cherche une autre accusation ; on m’objecte mon départ, et je ne puis me justifier sans faire encore mon éloge. En effet, que dois-je dire, pontifes ? Que le remords m’a fait fuir ? mais ce qu’on m’imputait comme un crime, était, au contraire, la plus belle action qu’on eût faite parmi les Fhommes. Que je craignais tout d’un jugement du peuple ? mais on ne parla jamais de ce ju| Que je n’avais point de secours à espérer des gens de bien ? rien de plus faux. Que j’ai appréhendé la mort ? ce serait infâme.

XXXVI. Il faut donc dire ce que je ne dirais pas à moins d’y être forcé ; car, si jamais j’ai parlé de moi trop avantageusement, ce n’a pas été pour m’attirer des louanges, mais pour me défendre. Oui, je le dis, et je le proclame : lorsque je vis tout ce qu’il y avait d’hommes perdus et de conjurés, soulevés par un tribun du peuple, autorisés par les consuls, venir fondre avec violence, non sur moi, qui ne servais que de prétexte, mais sur tous les gens de bien ; tandis que le sénat était dans l’abattement ; l’ordre équestre, dans la frayeur ; toute la république, dans l’inquiétude et les alarmes : je compris que si je triomphais, il ne resterait de l’État que de faibles débris, et que si j’étais vaincu, il n’en resterait rien. A cette pensée, je pleurai sur une épouse, qui allait être séparée de son époux ; sur