Page:Cicéron - Œuvres complètes, Lefèvre, 1821, tome 28.djvu/198

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Il aurait dû s’en tenir à la seconde partie de cette sentence, et dire seulement :

Ita inimicum habeas, posse ut fieri hunc facile amicum putes.

Sophocle a mis en vers les deux maximes, Ajax, vers 687 et suivants. Sacy combat la première avec beaucoup d’étendue et de chaleur, de l’Amitié, Livre II, page 62. Il y oppose ce mot de César : « J’aime mieux périr une fois, que de me défier toujours. » La Harpe a cité dans son Cours de littérature une réfutation en vers de la même pensée, par Gaillard, l’historien de Charlemagne et de François 1er :


     Ah ! périsse à jamais ce mot affreux d’un sage,
     Ce mot, l’effroi du cœur, et l’effroi de l’amour,
     « Songez que votre ami peut vous trahir un jour. »
     Qu’il me trahisse, hélas ! sans que mon cœur l’offense,
     Sans qu’une douloureuse et coupable prudence
     Dans l’obscur avenir cherche un crime douteux :
     S’il cesse un jour d’aimer, qu’il sera malheureux !
     S’il trahit nos secrets, je dois encor le plaindre.
     Mon amitié fut pure, et je n’ai rien à craindre.
     Qu’il montre à tous les yeux les secrets de mon cœur ;
     Ces secrets sont l’amour, l’amitié, la douleur,
     La douleur de le voir, infidèle et parjure,
     Oublier ses serments, comme moi mon injure.

Tous ceux qui ont écrit sur l’amitié, ont réfuté le mot de Bias ; Cicéron ne peut pas croire qu’il soit de ce philosophe, et il est probable en effet que Bias s’était contenté de dire : Haïssez, comme si quelque jour vous deviez aimer. On aura vraisemblablement ajouté le reste pour faire une antithèse, et pour appuyer une fausse maxime d’une grande autorité. J. V. L

(16). — XVII. Par divers autres endroits de Cicéron, il est clair que ce qu’il entend ici, c’est qu’un orateur peut entreprendre la défense de son ami, quoiqu’au fond de l’âme il sache que son ami n’est pas tout-à-fait innocent. C’est ainsi qu’il en usa lui-même dans l’affaire de Milon. Pour sentir qu’il n’autorise pas une plus grande liberté de s’écarter du droit chemin, declinandum de via, il ne faut que lire le chap. 10 du troisième Livre des Devoirs : « At neque contra rempublicam, neque contra jusjurandum ac fidem, etc. » D’Olivet. — Madame de Lambert exprime ainsi la même pensée : « On partage sa fortune avec son ami ; richesses, crédit, soins, services, tout est à lui, excepté notre honneur. »