Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/189

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dans le sénat ou devant un conseil militaire, je n’ai pas cru devoir la passer sous silence.

Lorsque nous voudrons décliner la responsabilité d’un crime, nous en ferons retomber la cause ou sur les choses ou sur les personnes. Si c’est à un homme que l’on s’en prend, la première chose sera d’examiner si cet homme a eu autant d’autorité que l’accusé le déclare, et quels moyens pouvait avoir celui-ci de résister avec honneur et sans danger : et dans le cas où tout cela serait vrai, s’il faut lui accorder qu’il ait agi par une impulsion étrangère. Ensuite on rentrera dans la question de fait pour discuter la préméditation. Si c’est sur les choses que l’on s’excuse, il faudra recourir aux mêmes considérations, à peu près, outre toutes celles que j’ai présentées sur la nécessité.

XVIII. Maintenant qu’il me semble avoir suffisamment indiqué quels sont les arguments qui conviennent à chaque genre de cause judiciaire, il me reste, je crois, à vous montrer la manière de les embellir et de leur donner toute leur valeur. Il est peu difficile en effet de trouver ce qui doit fortifier une cause ; mais ce qui l’est infiniment, c’est de perfectionner ce qu’a fourni l’invention et de l’exprimer avec convenance. C’est par là que nous éviterons de nous arrêter trop longtemps sur les mêmes objets, ou d’y revenir encore après les avoir traités déjà ; de quitter un raisonnement commencé, et de passer mal à propos à un autre. Par là nous pourrons, de notre côté, nous souvenir de ce que nous aurons dit dans chaque partie, et l’auditeur pourra saisir et se rappeler non seulement l’ensemble de la cause, mais encore la place de chaque argument en particulier. L’argumentation la plus complète et la plus achevée est celle qui renferme cinq parties : l’exposition, les raisons, la confirmation des raisons, les ornements, et la conclusion. L’exposition fait voir sommairement ce que nous voulons prouver. Les raisons démontrent, par une rapide analyse, que c’est la vérité que nous nous proposons d’atteindre. La confirmation des raisons a pour objet de corroborer, par de nombreux arguments, les raisons que nous avons succinctement exposées. Les ornements, quand l’argumentation est solidement établie, viennent la décorer et l’enrichir. La conclusion termine rapidement en réunissant les moyens de l’argumentation.

XIX. Pour faire l’usage le plus complet de ces cinq parties, nous traiterons l’argumentation de cette manière : « Nous démontrerons qu’Ulysse avait des raisons pour tuer Ajax : car il voulait se défaire d’un implacable ennemi, qu’il avait raison de redouter comme infiniment dangereux. Il voyait qu’il n’y avait pas de sécurité pour lui tant que cet homme vivrait ; il espérait par ce meurtre sauver sa propre vie ; il avait coutume, quand les motifs légitimes lui manquaient, de préparer la perte d’un ennemi par des machinations criminelles, ce dont la mort indigne de Palamède fournit le témoignage. Ainsi, d’une part, la crainte du danger le portait à faire périr un homme dont il redoutait la vengeance ; et, de l’autre, l’habitude du crime lui ôtait tout scrupule de le commettre. Les hommes ne s’abandonnent pas sans motif aux fautes les plus légères ; mais c’est surtout pour les plus grands excès qu’il faut qu’un avantage certain les conduise. Si l’appât de l’or a détourné tant d’hommes de leurs devoirs ; si l’ambition du pouvoir en a poussé tant d’autres au crime ; si le plus frivole avantage