Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/190

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a été souvent acheté au prix des plus coupables écarts : qui pourrait s’étonner qu’Ulysse n’ait pas reculé devant un crime que les terreurs devaient nécessairement l’engager à commettre ? L’homme le plus vaillant, le plus intègre, le plus implacable contre ses ennemis, outragé, furieux, était pour un lâche, pour un coupable qui avait la conscience de son crime, et l’habitude de la perfidie, un ennemi qu’il ne voulait pas laisser vivre ; personne n’en sera surpris. Puisque nous voyons les bettes féroces s’élancer avec ardeur pour nuire à d’autres animaux, il n’est pas incroyable qu’un homme farouche, cruel, inhumain comme celui-là, ait marché avec fureur à la perte de son ennemi. Encore les animaux n’ont-ils aucune raison, ni bonne ni mauvaise, pour se nuire, tandis que nous savons que cet homme en avait de très nombreuses et de très criminelles. Si donc, j’ai promis d’indiquer le motif qui a pu porter Ulysse au meurtre, et si j’ai démontré qu’il y avait de sa part une violente inimitié, et la crainte du péril, il n’y a pas de doute qu’il ne faille convenir qu’il y a eu des raisons du crime. » L’argumentation la plus complète est celle qui renferme cinq parties ; mais elle n’est pas toujours nécessaire. Tantôt, en effet, on peut se passer de la conclusion, si l’affaire est courte et facile à embrasser par le souvenir ; tantôt on néglige les ornements, si le peu de richesse du sujet, excluant l’amplification, ne les comporte pas. Quand l’argumentation est rapide, et que le sujet est de peu d’importance ou commun, on renonce à la conclusion et aux ornements. Dans toute argumentation il faut, pour les deux dernières parties, observer la règle que je trace. L’argumentation la plus étendue se compose donc de cinq parties ; la plus courte en a trois, et la moyenne quatre : on en retranche ou les ornements ou la conclusion.

XX. Il y a deux sortes d’argumentations vicieuses ; celle que l’adversaire peut réfuter avec avantage, et qui appartient à la cause ; et celle qui, malgré sa futilité, n’appelle pas de réponse. Si je ne mettais pas sous vos yeux quelques exemples, vous ne pourriez pas distinguer bien clairement les argumentations qu’il convient de repousser, et celles qu’on peut passer sous un dédaigneux silence, et laisser sans réfutation. Cette connaissance des argumentations vicieuses nous présentera un double avantage : elle nous avertira d’éviter les défauts dans notre argumentation, et nous apprendra à reconnaître aisément ceux que n’auraient pas évités nos adversaires. Après avoir montré que l’argumentation entière et parfaite a cinq parties, considérons maintenant les défauts qu’il faut éviter dans chacune de ces parties, afin que nous puissions nous en garantir pour notre compte, soumettre à l’épreuve de ces règles toutes les parties des argumentations de nos adversaires, et venir à bout d’en ébranler quelqu’une.

L’exposition est vicieuse, lorsqu’en se fondant sur un cas particulier, ou sur le plus grand nombre de cas, on applique à tous les hommes ce qui ne leur convient pas nécessairement, comme dans cet