Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/209

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et les augmente à l’aide des préceptes. La mémoire naturelle a donc besoin d’être fortifiée par l’étude, pour devenir excellente ; et celle que donne le travail doit s’appuyer sur la nature. Il en est de cet art comme de tous les autres ; le génie et la science, la nature et les règles se prêtent un mutuel secours. Les préceptes seront donc utiles à ceux qui sont doués de la mémoire naturelle ; vous en serez bientôt convaincu. Mais si les dons qu’ils ont reçus de la nature leur permettent de se passer de notre secours, nous n’en devons pas moins nous rendre utiles à ceux qui ont été moins bien partagés. Parlons donc de la mémoire artificielle.

Cette sorte de mémoire Se compose des lieux et des images. Par lieux, on entend les ouvrages de la nature ou de l’art qu’un caractère de simplicité, de perfection, ou de distinction remarquable, rend propres à être facilement saisis et embrassés par la mémoire ; tels qu’un palais, un entre-colonnement, un angle, une voûte et autres choses semblables. Les images sont de certaines formes, des signes, des représentations de la chose que nous voulons retenir, comme les chevaux, les lions, les aigles, dont nous placerons les images quelque part, Si nous voulons en garder le souvenir. Voyons maintenant comment on peut trouver les lieux ; et comment on peut découvrir les images et les y placer.

XVII. De même que ceux qui savent tracer des lettres peuvent écrire ce qu’on leur dicte et le lire ensuite ; de même ceux qui ont appris la mnémonique peuvent caser les choses qu’ils ont entendues, et par ce moyen les réciter de mémoire. En effet, les cases sont tout à fait comme la cire ou le papier ; les images, comme les lettres ; la disposition et l’arrangement des images, comme l’écriture ; et la récitation, comme la lecture. Il faut donc, pour avoir une mémoire étendue, se préparer un grand nombre de dépôts, afin de pouvoir y placer de nombreuses images. Nous pensons aussi qu’il faut mettre de l’ordre dans la disposition de ces dépôts, de peur que leur confusion ne nous permette pas de retrouver à notre gré dans celui où nous puiserons, soit au commencement, soit la fin ou au milieu y les images que nous lui aurons confiées, de les y reconnaître et de les en faire sortîr.

XVIII. De même qu’en voyant plusieurs personnes de connaissance, rangées par ordre, nous n’éprouverons aucune peine à dire leurs noms, que nous commencions par la première, par la dernière ou par celle du milieu ; ainsi, quand les lieux de la mémoire sont bien classés, quelle que. soit la chose que l’on recherche et quelque place qu’elle occupe, l’image nous la rappelle, et nous permet de la retirer du dépôt qui la renfermait. Il est donc essentiel et de disposer les lieux avec ordre, et de les bien méditer quand ils seront établis, afin qu’ils fassent perpétuellement partie de nous-mêmes. Car les images s’effacent comme les lettres, quand on cesse de s’en servir : les cases, comme les tablettes de cire, doivent rester garnies. Pour éviter toute méprise dans le nombre des lieux, il faut les marquer de cinq en cinq ; par exemple, en donnant pour signe au cinquième une main d’or, et au dixième, quelque personne connue, comme Décimus. Il sera facile d’en faire ensuite autant pour chacun des autres intervalles.