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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/210

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XIX. Il vaut mieux choisir ces emplacements dans un endroit désert, que dans un qui soit fréquenté, parce que le grand nombre de personnes et leur mouvement continuel, trouble et affaiblit les images, au lieu que la solitude les conserve dans leur entier. Il faut choisir en outre des lieux qui, par la variété de leur nature et de leur forme, puissent se distinguer clairement. Car celui qui s’attacherait à plusieurs entre-colonnements serait troublé par leur ressemblance, et ne saurait plus ce qu’il a placé dans chacun. Il faut que ces lieux n’aient qu’une médiocre étendue ; trop grands, ils donnent du vague aux images ; trop petits, ils paraissent souvent manquer d’espace pour les contenir. Ne les prenez encore ni trop éclairés ni trop obscurs, afin que les images ne s’effacent ni n’éblouissent. Les intervalles qui les séparent doivent être médiocres et de trente pieds environ ; car il en est de l’esprit comme de l’œil qui distingue moins bien les objets trop éloignés ou trop rapprochés. Celui qui a une plus longue expérience aura moins de peine à choisir un grand nombre de lieux convenables ; mais ceux mêmes qui croiront n’en pas pouvoir trouver d’assez appropriés, pourront néanmoins en trouver autant qu’ils voudront. Car la pensée peut embrasser l’étendue quelle qu’elle soit d’un pays, et y former à son gré tous les sites, y élever tous les édifices qu’il lui conviendra. Nous aurons donc la faculté, si nous ne sommes pas satisfaits de cette multitude, de nous créer à nous-mêmes par la pensée une région, et d’y établir des lieux convenables, en les classant de la manière la plus commode. Mais c’est assez parler des lieux. Je passe maintenant à l’arrangement des images.

XX. Comme les images doivent ressembler aux objets, et qu’il nous faut choisir parmi tous les mots des ressemblances qui nous soient connues, il en résulte nécessairement deux sortes de ressemblances, celle des choses et celle des mots ; la première, quand on se forme une image sommaire des objets eux-mêmes ; la seconde, lorsque l’on marque par une image le souvenir de chaque nom et de chaque mot. Un signe unique, une simple représentation, suffira souvent pour nous assurer le souvenir d’un événement tout entier. Par exemple, l’accusateur prétend que le prévenu a empoisonné un homme, qu’il l’a empoisonné pour avoir son héritage, et qu’il y a plusieurs témoins et plusieurs complices du crime. Si nous voulons d’abord fixer les faits dans notre mémoire pour les réfuter plus aisément, nous nous formerons, dans notre premier dépôt, une imagé de l’ensemble de l’action. Si nous avons présente la figure du mort, nous le supposerons étendu dans son lit ; si nous ne le connaissions pas, nous nous représenterons à sa place un autre malade, qui ne soit pas d’une trop basse condition, pour qu’il revienne plus promptement à l’esprit. À côté du lit, nous placerons l’accusé, tenant de la main droite une coupe, de la gauche, des tablettes, et du troisième doigt, des testicules de bélier. Nous pourrons nous souvenir par ce moyen des témoins, de l’héritage, et de l’homme empoisonné. Nous rangerons successivement, de la même manière, dans les