Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/212

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œuvre et les mène au but. Nous devrons donc choisir le genre d’images qui puisse rester le plus longtemps dans la mémoire ; nous y réussirons, en nous attachant à des ressemblances qui nous soient très familières, à des représentations qui ne soient ni muettes ni vagues ; en leur attribuant une beauté remarquable, ou une insigne laideur ; en les parant de quelque ornement, tel qu’une couronne, une robe de pourpre, qui nous les fasse reconnaître plus aisément ; ou en les défigurant par du sang, de la fange, du vermillon, pour qu’elles nous frappent davantage ; ou encore en leur donnant quelque chose de ridicule, car ce caractère aussi facilitera la mémoire. Les choses que nous aurions aisément retenues, si elles existaient réellement, imaginées et distinguées avec soin, se retiendront facilement. Il nous sera nécessaire de repasser de temps en temps dans notre esprit les cases établies une première fois, afin de rappeler les images qu’elles contiennent.

XXIII. Je sais que la plupart des Grecs qui ont écrit sur la mémoire, ont rassemblé les images d’un grand nombre de mots, afin que ceux qui voudraient les apprendre les trouvassent toutes prêtes, sans perdre du temps à les chercher. Plusieurs motifs me font désapprouver cette méthode. D’abord il est ridicule, sur une quantité de mots innombrables, de n’offrir les images que d’un millier d’entre eux. Combien ne seront-elles pas insuffisantes, lorsque dans cette multitude infinie, nous aurons besoin de retenir tantôt l’un et tantôt l’autre ? Ensuite, pourquoi vouloir empêcher notre intelligence de chercher les choses, en les lui offrant toutes trouvées ? D’ailleurs, il y a telle ressemblance qui frappe l’un plus que l’autre. Souvent, quand nous disons que tel portrait ressemble à telle personne, tout le monde n’est pas du même avis, parce que chacun a sa. manière de voir. Il en est de même pour les images ; celles qui nous ont paru mériter le plus d’attention semblent peu remarquables aux autres. Il vaut donc mieux que chacun se choisisse lui-même à son gré ses images. Enfin, le devoir d’un maître de l’art est d’enseigner la manière de faire les recherches, et de citer un ou deux exemples dans chaque genre, pour rendre le précepte plus clair. Ainsi, quand nous traitons de l’invention de l’exorde, nous donnons les moyens de le trouver, mais nous ne présentons pas mille exordes pour modèles ; je crois qu’il doit en être ainsi des images.

XXIV. Maintenant, pour que vous ne regardiez pas la mémoire des mots comme trop difficile ou peu nécessaire ; pour que vous ne vous contentiez pas de celle des choses, comme plus utile et plus commode ; je vais vous dire pourquoi j’approuve la première. Je pense en effet que ceux qui veulent retenir, sans travail et sans effort, des choses faciles, doivent s’être exercés d’abord à en apprendre de plus difficiles. Je ne vous ai point parlé de la mémoire des mots, comme devant vous servir à retenir des vers, mais comme d’un exercice propre à fortifier la mémoire des choses, qui est d’une grande utilité. C’est une habitude difficile qu’il faut prendre, pour arriver ensuite sans aucune peine à une autre plus facile. Mais si dans toute étude les préceptes ont peu de résultat, sans une pratique fort assidue, c’est dans la mnémonique surtout que l’art est bien peu de chose sans l’in-