Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/215

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cyoniens. Ainsi font ces rhéteurs, ils descendent dans la carrière de l’art oratoire, et taxent de vanité ceux qui s’efforcent d’en mettre les règles en pratique ; quant à eux, ils se bornent à vanter un orateur, un poète, un écrivain d’autrefois, mais sans oser faire un pas dans la lice de l’éloquence. Je n’ose le dire, mais je crains qu’en cherchant à paraître modestes, ils ne fassent précisément preuve d’orgueil. Car enfin que prétendez-vous ? leur dira-t-on. Vous écrivez les règles de votre art, vous nous en donnez de nouvelles, et dans l’impuissance de les confirmer par vous-même, vous empruntez vos exemples aux autres. Prenez garde d’encourir le reproche d’impudence, lorsque vous faites ainsi rejaillir sur votre nom la gloire qui s’attache aux travaux des autres ; car si les anciens orateurs et les anciens poètes prenaient vos ouvrages pour en retirer ce qui leur appartient, vous ne voudriez rien revendiquer de ce qui en resterait. Mais, dites-vous, puisque les exemples sont comme des témoignages, il convient qu’ils soient empruntés à des noms de la plus grande autorité. Je réponds avant tout, que les exemples ne sont ici ni des preuves, ni des témoignages, mais bien des démonstrations. En effet, lorsque je dis qu’il y a, par exemple, une figure qui consiste à terminer une phrase par des mots dont la consonance finale est la même, et que je cite ce passage de Crassus : Quibus possumus et debemus, ce n’est pas un témoignage que je présente, mais un exemple. Il y a donc cette différence entre le témoignage et l’exemple, que par le premier, nous démontrons de quelle nature est la chose que nous avons définie, et que par le second, nous établissons que la chose est telle que nous l’avons avancée. Il faut, en outre que le témoignage s’accorde avec la chose, autrement il ne peut lui servir de preuve. Mais ce que font ces rhéteurs ne s’accorde pas avec le but qu’ils se proposent ; pourquoi ? parce qu’ils promettent d’écrire les règles d’un art, et qu’ils prennent des exemples dans des auteurs qui la plupart ne les ont pas connues. Enfin quel est celui qui peut donner de l’autorité aux préceptes qu’il a établis, s’il n’est pas capable d’en faire lui-même l’application ? Ces rhéteurs font même le contraire de ce qu’ils semblent promettre ; car en formant le projet de professer un art, ils paraissent tirer de leur propre fonds les leçons qu’ils destinent à l’instruction des autres ; et quand ils se mettent à l’œuvre, ils nous présentent le fruit d’un travail qui ne leur appartient pas.

IV. Mais, disent-ils, le choix est difficile à faire parmi des matériaux si nombreux. Où trouvez-vous la difficulté, dans la fatigue du travail, ou dans l’habileté ? si c’est dans la fatigue du travail, elle ne donne pas un titre immédiat à la gloire ; car il y a beaucoup de choses pénibles dont l’exécution n’a rien d’honorable, à moins toutefois que vous ne regardiez comme glorieux, de copier de votre main des poèmes ou des discours entiers. Si c’est dans l’habileté, prenez garde de paraître étrangers aux grandes choses, en attachant le même prix aux petites. Sans doute un ignorant n’est pas capable de faire ce choix, mais beaucoup de gens peuvent y réussir sans être fort habiles. Tout homme qui aura quelque connaissance un peu spéciale des règles de l’art, surtout de l’élocution, pourra distinguer tous les morceaux qui en offrent l’application ; mais il faudra, pour les imiter, un écrivain de talent. Si, pour avoir