Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/217

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ouvrages, ni dans un ou deux auteurs, mais dans tous les orateurs et tous les poètes. Il y a plus ; si quelqu’un voulait démontrer que l’art est impuissant avec ses règles, il pourrait s’appuyer, avec assez de raison, sur ce que personne ne saurait en embrasser toutes les parties. N’est-il donc pas ridicule que les ennemis déclarés de la rhétorique trouvent à appuyer leur opinion sur celle des rhéteurs eux-mêmes ? Ainsi dût-on ne se passer jamais des exemples étrangers, il faut ne les tirer que d’un seul auteur.

VI. Mais on doit rejeter tout à fait cette méthode ; nous allons le comprendre à présent. En premier lieu, le maître de l’art, qui cite un exemple, doit le tirer de son propre fond ; pour ne pas ressembler à un marchand d’étoffes de pourpre ou d’autre chose, qui dirait : Donnez-moi la préférence ; mais je vais prendre chez mon voisin un échantillon que je vous montrerai. Ne vous paraîtrait-il pas ridicule de voir ceux qui vendent les marchandises chercher des échantillons chez leurs confrères ; d’autres vous dire qu’ils ont des monceaux de blé, et ne pas pouvoir vous en montrer un seul grain ? Si Triptolème venant enseigner aux hommes l’art d’ensemencer les terres, leur avait emprunté les semences ; ou si Prométhée, voulant leur faire présent du feu, était allé, un vase de terre à la main, demander de porte en porte quelques charbons ; n’y aurait-il pas là matière à rire ? Et ces rhéteurs, nos maîtres à tous dans l’art de parler, ne se trouvent pas ridicules, lorsqu’ils vont chercher dans les écrits des autres, ce qu’ils nous promettent de nous donner. Si quelqu’un se vantait d’avoir découvert les sources les plus abondantes dans les entrailles de la terre, et qu’en parlant de sa découverte, il fût tourmenté par une soif ardente, sans avoir une goutte d’eau pour l’étancher, ne se moquerait-on pas de lui ? Et ces habiles maîtres, qui prétendent non seulement posséder les sources, mais être eux-mêmes les sources où doivent s’abreuver tous les esprits, ne pensent pas être un objet de risée, lorsqu’au milieu de ces riches promesses, ils se montrent frappés eux-mêmes de stérilité ? Ce n’est point ainsi que Charès apprit de Lysippe l’art du statuaire. Ce maître ne lui montrait pas tour a tour une tête de Myron, des bras de Praxitèle, une poitrine de Polyclète ; il travaillait lui-même à toutes ces parties sous les yeux de son élève, lequel pouvait ensuite étudier à son gré les ouvrages des autres sculpteurs.

VII. Les rhéteurs grecs pensent qu’il y a un moyen plus facile de donner l’instruction à ceux qui la désirent. Ajoutez que les exemples empruntés ne peuvent pas s’adapter aux règles, comme ceux que l’on fait soi-même ; parce que dans la suite d’un discours on ne fait le plus souvent qu’effleurer chaque figure, de peur que l’art ne se laisse voir. Quand il s’agit de donner des préceptes, il faut composer des exemples tout exprès, pour qu’ils soient plus conformes à l’art. L’habileté de l’orateur dérobe aux regards les efforts qu’il a faits ; il vaut donc mieux, pour faire reconnaître l’art à plus de marques, composer soi-même ces exemples. Enfin un dernier motif m’a déterminé, c’est que les noms grecs qu’il m’a fallu traduire s’éloignent du génie de notre langue. Comment auraient-ils eu des mots pour des choses qu’ils ne connaissaient pas ? Ces noms, au premier abord, paraîtront nécessairement un peu durs ; ce sera la faute du sujet, et non la mienne. Le reste de cet ouvrage sera consacré