Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/242

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consentiriez à vous exposer, pour vos amis, pour vos parents, pour tous ceux qui vous sont chers, et vous refusez ce sacrifice à la république, qui renferme tous les objets de vos affections et à laquelle appartient ce nom sacré de patrie ! Si l’on doit mépriser celui qui, dans une traversée, aimerait mieux sauver sa vie que le vaisseau lui-même, il ne faut pas moins blâmer celui qui, dans les périls de l’État, songe plus à son salut qu’au salut commun. Quand le vaisseau périt, encore parvient-on souvent à échapper au naufrage ; mais quand la tempête engloutit la république, personne n’échappe à sa fureur. C’est ce que Décius avait bien compris, lorsqu’il se dévoua pour les légions, et se précipita au milieu des ennemis. Sa vie fut sacrifiée, mais non pas perdue ; il racheta au prix de ce bien périssable et fragile quelque chose de durable et de grand. Il donna ses jours, et reçut sa patrie en échange ; s’il perdit l’existence, il trouva la gloire ; et cette gloire, transmise par les siècles, brille chaque jour davantage en vieillissant. Si donc la « raison nous démontre, qu’il faut nous exposer aux dangers pour le service de la patrie ; si les exemples nous le prouvent, nous devons regarder comme sages ceux qui n’en redoutent aucun, lorsqu’il y va du salut de leur pays. »

Telles sont les différentes manières de traiter de l’Exposition : nous nous y sommes arrêtés longtemps et nous avons développé longuement cette matière, d’abord parce qu’elle donne à notre cause beaucoup de force et d’éclat, ensuite parce que c’est l’exercice qui peut nous perfectionner le plus dans l’élocution. Il sera donc convenable d’en employer toutes les ressources dans nos déclamations particulières ; et de nous en servir dans nos discours véritables pour orner l’argumentation, dont nous avons donné les règles dans le second Livre.

XLV. La Commoration s’arrête longtemps sur le point essentiel qui fait le fond de la cause, et y revient souvent : l’emploi en est avantageux, et les bons orateurs y ont surtout recours. Car il n’est pas au pouvoir de l’auditeur de distraire son attention d’une pensée qui se présente si forte. Nous ne pouvons pas donner un exemple bien précis de cette espèce de figure, parce qu’elle ne forme pas une partie distincte dans la composition ; ce n’est point un membre séparé, c’est plutôt le sang qui circule dans le corps entier du discours.

L’Antithèse met les contraires en regard. Elle consiste ou dans les mots, comme nous l’avons vu ; par exemple : « Si vous vous montrez clément envers vos ennemis, et inexorable envers vos amis. » Ou dans les pensées, comme : « Vous déplorez ses infortunes ; lui se réjouit du malheur de la république. Vous vous défiez de vos ressources ; lui n’en a que plus de confiance « dans ses seuls moyens. » La différence entre ces deux antithèses, c’est que l’une consiste dans une rapide opposition de mots ; l’autre, dans la comparaison entre des pensées contraires.

La Similitude est une figure qui applique à une chose un trait appartenant à une chose contraire. On s’en sert ou pour orner, ou pour prouver, ou pour éclaircir la pensée, ou pour la mettre sous les yeux. Et comme on l’emploie dans quatre circonstances, on en distingue aussi quatre espèces,