Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/334

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nécessaire, que par une cause que nous appelons accessoire. Mais, d’une autre part, vous trouverez bien des choses nécessaires sans aucun accessoire semblable. Par exemple : « Il est nécessaire que l’homme né mortel meure ; » il n’y a point d’accessoire. « Il n’est pas nécessaire qu’il mange, » à moins qu’on n’ajoute cet accessoire : « Excepté s’il ne veut pas mourir de faim. » Il faudra donc, comme nous l’avons dit, considérer toujours la nature des accessoires ; car, dans toutes les circonstances, il faut exposer la nécessité fondée, ou sur l’honnêteté, comme : « Cela est nécessaire, si nous voulons être fidèles à l’honnêteté ; » ou sur la sûreté. « Cela est nécessaire, si nous vous Ions être en sûreté ; » ou sur le bien-être : « Cela est nécessaire, si nous voulons vivre sans aucune contrariété. »

LVIII. La nécessité la plus impérieuse est celle que prescrit l’honnêteté ; vient ensuite celle de la sûreté ; la troisième, et la moins importante, est celle du bien-être, qu’on ne peut nullement opposer aux deux autres. Mais il est quelquefois utile de comparer ensemble la sûreté et l’honneur, pour décider (quoique l’honneur l’emporte réellement) à quel parti, dans telle ou telle conjoncture, on doit donner la préférence. Il semble qu’on peut établir sur ce point une règle générale. Quand, en s’occupant de sa sûreté, on espère recouvrer quelque jour, par ses talents et par son mérite, ce qu’on a pour le moment sacrifié de l’honneur, il est peut-être permis de préférer sa sûreté ; sinon la victoire doit toujours rester à l’honneur.

Ainsi, même alors, nous pouvons dire que nous avons suivi la route que nous traçait l’honneur, puisqu’en sacrifiant notre sûreté, nous n’aurions pu le recouvrer. C’est le moment de céder à une force supérieure, de se soumettre à la condition imposée par un autre, ou bien de se condamner à une inaction passagère, et d’attendre une occasion plus favorable. Pour le bien-être, il faut considérer seulement si ce qu’exigent nos intérêts mérite que l’on déroge à ce que réclament la véritable grandeur et l’honnêteté. Le plus essentiel, selon moi, c’est d’examiner la nature de l’objet qui, si nous voulons l’obtenir ou l’éviter, rend telle chose nécessaire, c’est-à-dire, quel est l’accessoire, afin de se décider ensuite en conséquence, en regardant comme plus nécessaire ce qui nous importe le plus.

Par circonstances, on entend les changements amenés par l’issue des événements, par la manière de conduire une entreprise, par les motifs qui nous dirigent ; changements dont il résulte que les faits ne sont plus tels qu’auparavant, ou tels qu’ils sont d’ordinaire. Ainsi : « Il est honteux de passer à l’ennemi, mais non pas quand c’est dans le même dessein qu’Ulysse. C’est une sottise de jeter son argent dans la mer, mais non pas quand c’est pour le même motif qu’Aristippe. » Il est donc des choses qu’il faut juger non en elles-mêmes, mais d’après le temps et l’intention. Considérez alors ce qu’exigent les conjonctures ou. les personnes ; ne vous attachez point à l’action, mais aux motifs, au temps, à la