sa seule audace, fit un dernier effort, et voulut attaquer la loi ; il fut contraint de se retirer devant les huées.
Cicéron n’avait pas attendu, pour reprendre le chemin de l’Italie, que le décret du sénat fût soumis à la sanction du peuple. Il s’était embarqué le 4 d’août, le jour même où se tenait l’assemblée, et le lendemain il avait pris terre à Brindes, où il trouva sa fille, qui s’y était déjà rendue pour le recevoir. À mesure qu’il avançait vers Rome, le bruit de son retour attirait sur son passage toutes les populations de l’Italie. Tout le chemin, bordé de spectateurs depuis Brindes jusqu’à Rome, « ressemblait, dit-il, à une rue non interrompue ; » et il n’exagère pas quand il assure qu’il y rentra, « porté comme dans les bras de toute l’Italie. »
À quelque distance de Rome, le sénat, les chevaliers, le peuple vinrent au-devant de lui. Il fut reçu dans cette ville, après dix-sept mois d’absence, aux acclamations de la foule, qui inondait les rues, les temples, les collines et jusqu’aux toits des maisons. Au Capitole, où l’on prévoyait qu’il monterait d’abord, d’autres citoyens, d’autres acclamations, l’attendaient. De là, il se rendit à la maison de son frère, avec toute la pompe d’une marche triomphale ; ce qui lui fit dire dans la suite « qu’on l’aurait pu soupçonner d’avoir souhaité sa disgrâce pour obtenir un retour si glorieux. »
Le jour suivant (5 sept.), il adressa des remercîments au sénat, et le surlendemain, au peuple. La présence de tant d’étrangers à Rome ayant fait hausser le prix des vivres, Clodius ne manqua pas d’attribuer à Cicéron la misère publique. Ses mercenaires parcoururent les rues pendant la nuit, demandant du pain d’une voix lamentable, et nommant Cicéron dans leurs plaintes. Le sénat délibérait sur les moyens de prévenir la disette. Clodius se rendit avec sa suite au temple de la Concorde, où se tenait l’assemblée. En route, il attaqua le consul Métellus, qui, forcé de fuir, se réfugia dans le Capitole, où le sénat fut aussitôt convoqué. Clodius investit le Capitole : mais il fut contraint de fuir lui-même devant des forces supérieures.
Cicéron, renfermé chez lui pendant ce tumulte, vint au sénat quand tout fut apaisé. Il y fit aussitôt recevoir un décret, qui confiait à Pompée le soin de ramener l’abondance, lui donnait pendant six ans un pouvoir illimité sur tous les magasins de l’empire, et le droit de se choisir quinze lieutenants. Cicéron fut le premier qu’il choisit. Il accepta d’abord ces fonctions ; mais le soin de ses affaires exigeant sa présence à Rome, il s’en démit en faveur de Quintus.
Il éprouvait en effet beaucoup de difficultés pour rentrer dans la possession de ses biens. Clodius, en consacrant à la religion la plus considérable de ses maisons, l’avait aliénée sans retour. C’était au collége des pontifes qu’appartenait la connaissance de cette affaire. Cicéron plaida lui-même sa cause, et la gagna. Un sénatus-consulte, inutilement combattu par Clodius, qui parla trois heures, donna force de loi à la décision des pontifes ; et les consuls firent commencer la reconstruction de toutes ses maisons.
Tous les actes du tribunat de Clodius étaient suspendus au Capitole, gravés, suivant l’usage, sur des tables de cuivre. Cicéron voulut détruire ces monuments publics de sa disgrâce. Après une première tentative inutile, profitant de l’absence de Clodius, il monta au Capitole avec une escorte de ses meilleurs amis, et se saisissant des tables, il les emporta chez lui. Clodius réclama dans le sénat contre cette hardiesse ; et Caton, qu’il avait eu l’adresse d’intéresser aux actes de son tribunat, en lui faisant donner une commission dans l’île de Cypre, se crut obligé de prendre parti contre Cicéron. Le plus fâcheux effet de ces débats fut d’amener quelque refroidissement entre ces deux illustres amis.
La maison du mont Palatin s’élevait déjà jusqu’au toit, lorsque les ouvriers se virent attaqués en plein jour par une troupe de gens armés qui avaient Clodius à leur tête. Tout fut démoli, et les ouvriers, chassés. Cette troupe courut ensuite assaillir et incendier la maison de Quintus, où Cicéron faisait encore sa demeure : les deux frères n’évitèrent la mort que par la fuite.
Clodius voulait l’édilité, et les élections étaient sans cesse ajournées. Furieux, il parcourait les rues avec ses incendiaires, en menaçant de mettre le feu à toute la ville, si l’on tardait plus longtemps à le nommer édile. Dans une de ces courses, il rencontra Cicéron au milieu de la rue Sacrée, et l’attaqua l’épée à la main, tandis que sa bande faisait voler les pierres autour de lui. Cicéron eut à peine le temps de se sauver dans une maison voisine, où ses amis étant venus se joindre à ceux de sa suite, le mirent en état de se défendre : les assaillants furent contraints de se retirer.
Le sénat s’assembla pour délibérer sur ces désordres, et l’on proposa les partis les plus vigoureux : mais les intrigues de Clodius les firent tous échouer, et empêchèrent même que Milon pût le citer en justice. Le sénat voulut revenir sur cette affaire, et Cicéron y dénonça de nouvelles fureurs de Clodius. Celui-ci accourut avec ses satellites, et mit en fuite les sénateurs. Milon ne songea plus dès lors qu’à se délivrer par le fer de ce forcené.
Ptolémée Aulétès, chassé par ses sujets du trône d’Égypte, était venu solliciter contre eux le secours de la république. Lentulus, déjà pourvu du gouvernement de la Cilicie, souhaitait cette commission. Cicéron lui avait promis les suffrages du sénat. Mais un tribun se déclara hautement contre Ptolémée, et surtout contre Lentulus. Le consulat de celui-ci