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xxvij
VIE DE CICÉRON.

départ, il avait oublié son cheval. » Cet homme, dit Cicéron, a mieux pourvu à la sûreté de son cheval qu’à la sienne. » Pompée venait d’accorder le droit de cité à un transfuge gaulois. « Le plaisant homme ! dit Cicéron ; il donne à des Gaulois une patrie, et ne peut nous rendre la nôtre ! »

Fatigué de ces plaisanteries. Pompée lui dit enfin : « Passez à César, et vous verrez si je suis à craindre. « Cicéron avait tort de semer le découragement dans son parti, de jeter sur le chef un ridicule qui rejaillissait sur la cause ; et, comme dit avec force M.  Villemain[1], « d’apporter dans le camp de Pompée les craintes qui pouvaient l’empêcher d’y venir. Il se hâta, ajoute le même écrivain, de désespérer de la victoire, et laissa entrevoir cette défiance du succès, qui ne se pardonne pas, et cette prévention contre les hommes et contre les choses, qui choque d’autant plus qu’elle se trahit par le sarcasme. Cicéron ne modérait pas assez son penchant à la raillerie ; et, sur ce point, il paraît avoir manqué souvent de prudence et de dignité. »

Tandis que César, maître de l’Espagne et de l’Italie, créé, à Rome, dictateur et consul, accourait pour combattre Pompée, Cicéron, désespérant toujours du succès de la guerre, faisait tous ses efforts pour disposer son parti à la paix. Pompée défendit qu’on en parlât davantage dans le conseil ; il commençait à reconnaître ses fautes, voulait reconquérir sa gloire, et avait pris la résolution de périr ou de vaincre.

César le tenait bloqué dans Dyrrachium ; Dolabella écrivit à Cicéron de profiter de la fuite de Pompée, dont on ne doutait pas, pour se retirer à Athènes ou dans quelque autre ville éloignée du théâtre de la guerre ; retraite que César approuvait d’avance. Mais ce dernier se vit lui-même contraint, par un revers imprévu, de fuir devant Pompée jusqu’en Macédoine.

Cicéron revint au conseil qu’il avait déjà donné, de traîner la guerre en longueur, et de ne pas s’exposer aux chances d’une bataille. La force de ses raisons les fit goûter de Pompée. Mais le succès de Dyrrachium avait achevé de tourner la tête à cette troupe sénatoriale ; elle entraîna son chef. La résistance lui était difficile au milieu de tous ces magistrats fugitifs, ses égaux en dignité, qui, ayant commandé, triomphé comme lui, voulaient avoir part à toutes les résolutions ; qui, n’ayant avec lui d’autre engagement que leur inclination, et libres de l’abandonner au moindre dégoût, en exigeaient d’autant plus de complaisance ; qui, s’ennuyant de cette vie des camps, aspiraient à retourner à Rome pour y jouir de leurs richesses et de leurs honneurs : qui, las de lui obéir, l’accusaient de vouloir se perpétuer dans le commandement, et l’appelaient Agamemnon, le roi des rois ; qui, enfin, pleins d’une présomptueuse confiance dans l’issue du combat, couvraient déjà leurs tentes de lauriers, y faisaient dresser par leurs esclaves des tables chargées de mets dont l’armée victorieuse et affamée de César allait vanter le goût exquis, se disputaient toutes les places que donnerait la victoire, et jusqu’à celle de souverain pontife, que la mort de César devait laisser vacante. Enfin, entraîné, harcelé, poussé en avant, Pompée céda, malgré l’avis de Cicéron, malgré les conseils d’une prudence un peu tardive.

Cicéron ne se trouva point à la bataille de Pharsale, étant demeuré malade à Dyrrachium. Il avait promis à Pompée de le suivre aussitôt que le lui permettrait sa santé ; et pour gage de sa sincérité, il lui avait laissé son fils, qui se distingua, dans cette journée, à la tête d’un corps de cavalerie.

Caton avait à Dyrrachium le commandement de quinze cohortes et d’une flotte considérable. Il l’offrit à Cicéron, qu’y appelait son rang de consulaire. Cicéron le refusa ; et, si l’on en croit Plutarque, le jeune Pompéen fut si indigné, qu’ayant tiré son épée, il l’aurait tué, si Caton n’eût arrêté son bras. Tous ceux qui voulaient continuer la guerre exhortèrent Cicéron à les suivre ; et comme ils lui répétaient sans cesse qu’il leur restait encore sept aigles, » cela serait excellent, » répondit-il par un dernier trait de moquerie, « si vous aviez des geais à combattre. » Il déclara que la guerre était finie pour lui, et se retira, sous la protection de Caton, qui eut quelque peine à le soustraire à de nouvelles violences.

Cicéron reprit le chemin de l’Italie, et descendit à Brindes vers la fin d’octobre 705, toujours précédé de ses licteurs et de ses faisceaux couronnés de lauriers. Il y reçut une lettre d’Antoine qui l’avertissait que César lui avait défendu de recevoir personne en Italie sans un ordre de sa main. Cicéron lui dépêcha aussitôt L. Lamia, pour l’assurer que Dolabella lui avait écrit de la part de César qu’il pouvait s’y rendre ; il n’était venu que sur la foi de cette lettre. Antoine publia l’édit qui excluait de l’Italie tous les partisans de Pompée ; mais, dans cet édit même, il excepta Cicéron, affectant de l’y nommer, pour achever de le rendre suspect et odieux à ses anciens amis. Cicéron éprouvait de vives contrariétés de la part de sa famille. Son frère et son neveu avaient suivi César en Afrique pour en obtenir leur pardon. Quintus rejetait sur son frère le blâme qu’il croyait mériter, et ne cessait de l’accuser dans ses discours et dans ses lettres. Son fils avait même pris les devants, en composant contre son oncle un discours qu’il devait prononcer devant le vainqueur. Cicéron, tout irrité qu’il fût de cette conduite, en tenait une fort opposée, et appuyait généreusement leurs accusations contre lui-

  1. Bibliographie universelle, article Cicéron.