-même. Informé que, dans plusieurs occasions, César, loin de croire aux dénonciations de Quintus, l’avait au contraire accusé d’avoir entraîné toute sa famille dans le parti de Pompée, Cicéron lui écrivit aussitôt afin d’en revendiquer le tort, et le pria de recevoir son frère en grâce.
Dolabella, son gendre, à peine en possession du tribunal, où il était parvenu autant par ses intrigues que par la protection de César, avait excité de nouveaux troubles à Rome, en faisant revivre une loi qui éteignait toutes les dettes : lui-même en avait tant, que sa femme avait été forcée de venir chercher sa subsistance auprès de son père. Cicéron n’avait pas achevé de payer la dot de sa fille. Ce qu’il avait donné à Pompée, et la mauvaise gestion de sa femme, l’avaient mis dans une gêne qui ne lui permettait plus de fournir aux dépenses les plus indispensables de sa maison ; il n’en put sortir qu’avec l’aide d’Atticus.
Il reçut à Brindes la nouvelle de la mort de Pompée, et en fut peu surpris. Dès qu’on en sut la nouvelle à Rome, César y fut élu dictateur pour la seconde fois, et Antoine, maître de la cavalerie.
Cicéron continua de séjourner à Brindes, mais dans une situation d’esprit si pénible, « qu’elle lui paraissait, dit-il, pire que tous les supplices. » Il n’osait se rapprocher de Rome sans la permission formelle de ses nouveaux maîtres ; et Antoine ne laissait pas échapper une occasion de l’humilier. Tout son espoir était dans le retour de César ; et s’il restait à Brindes, c’était pour se faire un mérite de le recevoir à son débarquement. Il était si honteux de son triste rôle, qu’il évitait d’en parler dans ses lettres, et demandait en grâce à ses amis de ne plus le questionner à ce sujet.
Cependant les restes du parti de Pompée s’étaient ralliés en Afrique ; et leurs forces réunies étaient si supérieures à celles de César, qu’ils parlaient de passer en Italie avant qu’il fût revenu d’Égypte. Le bruit s’en répandit bientôt ; et Cicéron devait s’attendre à être traité par eux en déserteur ; car ils avaient publié qu’ils tenaient pour ennemi quiconque ne se rendrait pas dans leur camp. Il ne restait donc plus à Cicéron qu’à souhaiter le succès des armes de César, et le triomphe d’un parti qu’il avait toujours détesté.
À Rome, on ne lui pardonnait pas de s’être soumis sitôt à la discrétion du vainqueur. Il était blâmé, condamné, méprisé, sans que personne entreprît de le justifier. Ému de tant de reproches, il chargea son cher Atticus de prendre sa défense, lui suggéra les raisons qui pouvaient y servir, et le pria de les répandre. Mais ces raisons ne pouvaient que faire ressortir la situation équivoque où il se trouvait placé.
Pour comble d’inquiétude et de honte, il ne recevait aucune marque d’attention de César, qui, tout entier à l’expédition d’Égypte, n’avait pas, il est vrai trouvé le temps d’écrire une seule fois en Italie dans l’espace de six mois. Instruits des craintes de Cicéron, plusieurs de ses amis de Rome imaginèrent, pour les dissiper, de lui écrire, sous le nom même de César, et de dater d’Alexandrie une lettre bienveillante et affectueuse. Mais les termes en étaient si vagues qu’il soupçonna, ce qu’il apprit en effet plus tard, qu’elle venait d’Oppius et de Balbus, dont l’amitié, vainement ingénieuse à le tromper, n’avait trouvé que ce moyen de relever son courage.
César lui donna enfin lui-même une marque de souvenir, et lui fit remettre les lettres injurieuses de son frère, comme un témoignage de son affection et de l’horreur que lui avait inspirée la conduite de Quintus. Mais la tristesse habituelle où vivait Cicéron tant de fois abusé, abandonné, trahi ; les noires pensées dont il nourrissait son esprit ; son humeur devenue soupçonneuse et défiante, lui faisaient chercher, même dans les bons traitements de nouvelles raisons de craindre. Au lieu d’expliquer favorablement la conduite de César, il ne voulut y voir que la politique d’un vainqueur irrité qui, remettant la vengeance à un autre temps, voulait, pour la mieux assurer, lui inspirer une sécurité trompeuse : et cet empressement même à lui envoyer par des intermédiaires les lettres de Quintus lui paraissait moins une avance qu’une marque de mépris.
Ces sombres idées furent dissipées par une lettre de César qui lui confirmait, dans les termes les plus affectueux, la possession de son rang, et lui accordait même la liberté de reprendre ses faisceaux et ses licteurs, qu’il venait de quitter. En même temps Quintus, dont César n’avait permis le retour qu’à la considération de Cicéron, changeant bientôt de langage, écrivit à son frère pour le féliciter du rétablissement de sa fortune.
Cicéron voulait faire partir son fils au-devant de César ; mais dans l’incertitude du chemin qu’il prendrait, il changea de résolution. Dès qu’il eut appris son arrivée à Tarente, il quitta Brindes pour se présenter à lui sur sa route. Il avoue dans ses lettres qu’il ressentit quelque trouble à l’approche d’un vainqueur contre lequel il avait pris les armes ; et quoiqu’il pût compter sur un accueil favorable, « il ne savait, dit-il, s’il valait la peine de lui demander une vie qui cesse d’être à nous lorsqu’elle est le bienfait d’un maître. » Mais, dans leur entrevue, il ne se vit obligé à rien qui fût au-dessous de sa dignité. César, du plus loin qu’il le vit venir, descendit de cheval, courut l’embrasser, et, continuant de marcher avec, lui, l’entretint seul avec familiarité.
Cicéron ne pensa plus qu’à se rendre à Rome ; et, après quelques jours passés dans sa villa de Tusculum, avec ses meilleurs amis, il prit le chemin