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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/531

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y travailla sans aucune distraction, jusqu’à ce qu’on lui annonçât que les consuls étaient arrivés. Quand on l’eut averti qu’il était temps, il en sortit le visage en feu, les yeux étincelants, comme un homme qui viendrait de plaider et non de méditer. Rutilius ajoutait, comme une circonstance essentielle, que les secrétaires sortirent avec lui un peu maltraités. Il concluait de là que Galba portait la véhémence et la chaleur de son action jusque dans le travail du cabinet. Enfin, l’orateur plaida cette cause intéressante devant un auditoire nombreux, en présence de Lélius même, avec une force et une noblesse qui, presque à chaque phrase, excitèrent des acclamations. Il fit entendre des plaintes si touchantes et des accents si pathétiques, que ce jour-là les fermiers furent absous aux applaudissements unanimes de tout l’auditoire.

XXIII. Une discussion fine et élégante qui éclaire les esprits, une action forte et impétueuse qui les entraîne, voilà les deux grandes qualités de l’orateur. Mais celui qui enflamme le juge pro-duit bien plus d’effet que celui qui se borne à l’instruire ; et nous pouvons conclure du récit de Rutilius, que Lélius avait en partage l’élégance, et Galba la force. Cette force eut un beau triomphe dans une affaire importante. Galba, étant préteur en Espagne, avait, au mépris, disait-on, de la foi donnée, mis à mort des Lusitaniens. Le tribun T. Libon demandait vengeance au peuple, et proposait une loi évidemment dirigée contre Galba. Caton, alors dans une extrême vieillesse, comme je l’ai déjà dit, appuyait la loi ; et peu de jours ou peu de mois avant sa mort, il prononça contre Galba un long discours qu’il a inséré dans ses Origines. Galba, dans sa défense, se soumit à tout pour lui-même ; et implorant la protection du peuple romain, il lui recommanda, les larmes aux yeux, et ses jeunes enfants, et le fils de C. Sulpicius Gallus. Les pleurs de cet orphelin et le souvenir encore récent du grand homme qui était son père, attendrirent tous les cœurs ; et Galba, comme le rapporte le même Caton, en excitant la pitié pour des enfants, se sauva de l’incendie prêt à le dévorer. Libon lui-même, son accusateur, ne manquait pas de talent pour la parole, comme on peut en juger par ses discours. Après avoir achevé ces mots, je me reposai un instant. — Pourquoi donc, reprit Brutus, ne trouve-t-on dans les discours qui nous restent de Galba aucune trace d’un talent si puissant ? Encore s’il n’avait rien écrit !

XXIV. — C’est par deux raisons différentes, mon cher Brutus, qu’on n’écrit pas, ou qu’on écrit moins bien qu’on ne parle. Tantôt c’est la paresse qui empêche de prendre la plume, et nous voyons des orateurs qui n’ont pas voulu ajouter le travail du cabinet à celui du forum ; car la plupart des discours s’écrivent après avoir été prononcés, et non pour être prononcés ; d’autres n’éprouvent point le désir de se perfectionner, et rien n’apprend mieux à bien parler que d’écrire. Peu jaloux de laisser après eux des monuments de leur génie, ils croient s’être acquis par la parole une gloire assez grande, et qui paraîtra plus grande encore, si leurs écrits ne viennent point s’offrir aux discussions de la critique. D’autres enfin se croient plus capables de bien parler que de bien écrire.