de cet orateur, qui eut de son temps une si grande supériorité, sont plus secs et sentent plus l’antiquité que ceux de Lélius et de Scipion, ou même de Caton : aussi sont-ils tellement oubliés, qu’on les connaît à peine.
Pour Lélius et Scipion, quoique l’opinion soit unanime sur leur génie, Lélius a, comme orateur, une réputation plus brillante. Convenons-en toutefois, son discours sur les collèges des pontifes n’est pas supérieur au premier qu’on voudra choisir parmi ceux de Scipion. Sans doute on ne peut rien voir de plus doux ni entendre sur la religion un langage plus auguste ; cependant le style est beaucoup plus vieux et plus suranné que celui de Scipion. Vous savez que chaque orateur a son goût particulier ; or, Lélius me paraît préférer la manière ancienne, et se servir même volontiers de termes un peu vieillis. Mais on n’aime pas à voir le même homme exceller dans plusieurs genres à la fois. La gloire des armes, à laquelle Lélius s’est aussi acquis des titres dans la guerre contre Viriate, Scipion la possède sans rival ; d’un autre côté, pour le génie, l’érudition, l’éloquence, la philosophie, si l’on regarde ces deux hommes comme les premiers des Romains, on regarde Lélius comme le premier des deux. Et eux-mêmes, d’accord avec l’opinion publique, paraissent avoir fait entre eux ce partage de gloire. En général, l’esprit de ce temps-là, meilleur en tout le reste, avait encore ceci de plus généreux, qu’on aimait à se rendre mutuellement justice.
XXII. J’ai entendu autrefois P. Rutilius Rufus raconter à Smyrne que, dans sa première jeunesse, les consuls P. Scipion et D. Brutus furent chargés par un sénatus-consulte d’informer sur une affaire criminelle du plus haut intérêt. Il y avait eu dans la forêt de Sila un massacre où avaient péri des hommes de distinction : on en accusait les esclaves et même les fils des associés qui avaient affermé, des censeurs P. Cornélius et L. Mummius, l’entreprise de la poix. Le sénat renvoya aux consuls la connaissance et le jugement de cette affaire. Lélius plaida pour les fermiers avec son talent et son élégance accoutumée. L’affaire entendue, les consuls, de l’avis de leur conseil, la renvoyèrent à plus ample informé. Quelques jours après, Lélius plaida une seconde fois, avec encore plus de soin et d’habileté, et la sentence fut ajournée de nouveau. Alors Lélius dit aux associés qui venaient de le reconduire chez lui, en le remerciant et le priant de ne point se lasser, qu’il avait plaidé leur cause avec tout le zèle et tout le soin dont son estime pour eux le rendait capable ; mais qu’à son avis elle serait défendue avec bien plus de force et de véhémence par Serv. Galba, dont l’éloquence était plus pathétique et plus entraînante. Sur l’invitation de Lélius, les fermiers portèrent donc leur cause à Galba. Celui-ci ne se décida qu’avec une crainte modeste à remplacer un tel homme. Il n’avait en tout que l’intervalle d’un jour pour étudier sa cause et disposer ses moyens ; il l’y employa tout entier. Le jour de l’audience, Rutilius, à la prière des associés, se rendit le matin chez Galba, pour l’avertir et l’accompagner au tribunal quand l’heure serait venue. Galba, renfermé dans un cabinet avec ses secrétaires, auxquels il avait coutume de dicter à la fois plusieurs choses différentes