Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/554

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cune de ses propositions, et surtout comment elles sont reçues par les juges. En outre, la défense doit former un seul tout, et rien n’est plus mal entendu que de recommencer un plaidoyer déjà terminé par un autre. Il y a toujours un exorde et une péroraison naturels à chaque cause ; il en est de même de tout le discours : c’est un corps dont les membres ne peuvent déployer que chacun à sa place leur grâce et leur vigueur. Or, s’il est difficile, quand on parle longtemps, de ne pas laisser échapper quelque chose qui soit peu d’accord avec ce qu’on a déjà dit, combien n’est-il pas plus difficile encore de ne point contredire quelquefois celui qui a parlé avant nous ? Mais il faut beaucoup plus de travail pour plaider une cause entière que pour en plaider une partie ; d’ailleurs on se fait plus d’amis en défendant plusieurs clients à la fois. Voilà pourquoi cette coutume s’est facilement établie.

LVIII. Toutefois, après Sulpicius et Cotta, quelques-uns donnaient la troisième place à Curion, peut-être parce qu’il se servait d’expressions brillantes, et parlait assez correctement la langue latine. Il avait, je pense, puisé dans la maison paternelle cette pureté de diction ; car il n’avait aucune teinture des lettres ; mais le langage de ceux qu’on entend chaque jour, avec qui l’on s’entretient dès l’enfance, celui des pères, des précepteurs, des mères, laisse après lui des traces durables. Nous avons lu les lettres de Cornélie, mère des Gracques. Il est évident que les accents de sa voix contribuèrent autant que ses soins maternels à les faire ce qu’ils furent. J’ai plus d’une fois assisté aux entretiens de Lélia, fille de Caïus. On voyait briller en elle toute l’élégance de son père. J’en dis autant des deux Mucia, ses filles, dont j’ai connu la manière de parler ; et des deux Licinia ses petites-filles, que j’ai entendues l’une et l’autre. Je crois que vous-même, Brutus, avez entendu quelquefois celle qui fut mariée à Scipion. — Oui, répondit Brutus, et avec d’autant plus de plaisir qu’elle était fille de Crassus l’orateur. — Et Crassus, fils de cette même Licinia, et que l’orateur adopta par son testament, que pensez-vous de lui ? — Ce fut, dit-on, un homme d’un grand talent : quant à Scipion, son frère et mon collègue, sa conversation et ses discours publics me plaisent également. — Vous le jugez bien, mon cher Brutus ; aussi descend-il d’une race qui a pris naissance au sein de la sagesse elle-même. Nous avons déjà parlé de ses deux aïeuls, Scipion et Crassus ; de ses trois bisaïeuls, Q. Métellus, qui eut quatre fils ; P. Scipion, qui, simple citoyen, sauva la république de la tyrannie de Tib. Gracchus ; enfin, Q. Scévola l’augure, qui fut aussi renommé par sa politesse que par son profond savoir en jurisprudence. Mais de quel éclat brillent l’un et l’autre de ses trisaïeuls, P. Scipion, deux fois consul, dont le surnom atteste les lumières, et C. Lélius, le plus sage des mortels ! — Rare féconde et généreuse, dit Brutus, et que de nobles maisons, comme des rameaux différents greffés sur la même tige, ont confondu en elle leur sagesse héréditaire, et emprunté de cette union un lustre nouveau !

LIX. — Je reviens à Curion, et, s’il est permis de le citer à côté de ces grands noms, j’imagine que, quoique resté orphelin de bonne heure, il trouva sa maison accoutumée, par l’exemple de