Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/556

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teurs, Curion oublie tout à coup qu’il parle au sortir d’une séance où César présidait, et reproche au consul ce qu’il fit l’année d’après, et les années suivantes, comme gouverneur de la Gaule.

LXI. — Étrange méprise, dit Brutus avec étonnement, surtout dans un ouvrage écrit comment ne s’est-il jamais aperçu, en relisant son dialogue, dans quelle honteuse erreur il était tombé ? — Demandez, Brutus, comment, résolu qu’il était de s’ériger en censeur, il a eu assez peu de sens pour ne pas placer l’époque de son entretien après les faits qu’il voulait censurer ? Mais cet homme était, il faut le dire, tout inconséquence. Il déclara dans le même ouvrage qu’il ne va jamais au sénat sous un consul tel que César, et c’est sous le consulat de César et en sortant du sénat qu’il fait cette déclaration. Si la faculté à la garde de laquelle est remis le produit de toutes les autres était assez faible chez lui pour qu’il ne se souvînt pas, après quelques moments, de ce qu’il venait d’écrire, faut-il s’étonner qu’en parlant d’abondance, le fil de ses idées lui échappât souvent ! Aussi, quoiqu’il ne fût pas avare de ses services, et qu’il eût la passion de parler en public, peu de causes lui étaient confiées. Si on le plaçait immédiatement après les meilleurs orateurs de son âge, c’était, comme je l’ai dit, à cause du bon choix de ses expressions, et de la facilité rapide avec laquelle les paroles coulaient de sa bouche. C’est pourquoi je pense que ses discours méritent au moins un coup d’œil. Sans doute ils sont languissants ; mais ils peuvent nourrir et fortifier dans les autres ce talent d’élocution dont nous reconnaissons qu’il n’était pas dépourvu : talent dont la vertu est si grande, que seul et sans être soutenu d’aucun autre mérite, il a suffi pour faire de Curion une espèce telle quelle d’orateur. Mais revenons à notre sujet.

LXII. Aux noms qui appartiennent à cette génération, il faut joindre C. Carbon, fils de celui dont l’éloquence était si renommée. On le comptait comme un orateur de peu d’invention ; on le comptait néanmoins. Ses expressions étaient nobles ; son élocution, facile ; sa manière, naturellement imposante. Q. Varius avait plus d’idées, et non moins de facilité à s’exprimer. Ajoutez une action forte et animée, un style qui ne manquait ni de richesse ni d’élévation, et vous lui donnerez, sans trop de scrupule, le titre d’orateur. Cn. Pomponius apportait aux combats du forum la force de ses poumons, l’entraînement de sa véhémence, l’amertume de ses invectives. Bien loin après eux venait L. Fufius, qui toutefois, en accusant M’. Aquillius, fit applaudir les efforts de son zèle. Nous n’oublierons pas, mon cher Brutus, M. Drusus, votre grand-oncle, dont l’éloquence faisait impression, mais seulement quand il parlait sur les affaires publiques ; ni L. Lucullus, qui joignait l’esprit à la gravité ; ni votre père qui avait, de plus, une profonde connaissance du droit publie et particulier ; ni M. Lucullus, ni M. Octavius, fils de Cnéus, dont le caractère et les discours eurent assez d’influence pour faire abroger par le peuple assemblé la loi Sempronia, qui assurait la subsistance du peuple ; ni Cn. Octavius, fils de Marcus ; ni M. Caton le père ; ni même Q. Catulus le fils : mais nous les éloignerons du champ de bataille, c’est-à-dire, du barreau, et nous les placerons à la garde