Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/580

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en est la preuve. Hortensius a fleuri depuis le consulat de Crassus et de Scévola, jusqu’à celui de Paullus et de Marcellus ; et moi j’ai couru la même carrière depuis la dictature de Sylla jusqu’à ces mêmes consuls à peu près. Ainsi, nos voix se sont éteintes à la fois, la sienne par la mort, la mienne par le malheur des temps. — Il viendra des temps plus heureux, dit Brutus. — Je le désire, dis-je à mon tour, et cela moins pour moi que pour vous. Mais la mort fut un bienfait pour Hortensius, puisqu’il n’a pas vu se réaliser les tristes pressentiments qu’il avait formés ; car souvent nous avons déploré ensemble les malheurs prêts à fondre sur la patrie, en voyant les passions renfermer dans leur sein tous les germes de la guerre civile, et la politique bannir de ses conseils l’espoir même de la paix. Oui, ce bonheur qui ne l’a jamais abandonné pendant sa vie, semble l’avoir soustrait par la mort aux calamités de l’avenir.

Mais nous, Brutus, puisque la mort de cet illustre orateur nous a laissés, pour ainsi dire, les tuteurs de l’éloquence orpheline, veillons sur elle, et qu’elle trouve chez nous un asile digne de sa noblesse. Repoussons loin d’elle ces poursuivants inconnus et téméraires ; protégeons son honneur comme celui d’une jeune vierge, et défendons-la, autant que nous le pourrons, des attaques d’amants indiscrets. Pour moi, quoique je m’afflige d’être entré dans le chemin de la vie un peu trop tard pour avoir achevé le voyage, avant d’être surpris par cette nuit profonde où la république est plongée, cependant une consolation me soutient, mon cher Brutus ; c’est celle que vous m’avez adressée dans cette lettre pleine d’amitié, où vous m’exhortez à prendre courage, dans la pensée que j’ai fait des actions qui parleront de moi malgré mon silence, qui vivront après ma mort, et qui par le salut de l’État, si l’État est sauvé ; par sa perte, s’il ne l’est pas, déposeront à jamais en faveur de ma conduite politique.

XCVII. Mais je sens ma douleur se réveiller en jetant les yeux sur vous, Brutus, et en pensant que dans cette carrière où votre jeunesse courait de succès en succès, votre char victorieux a été arrêté tout à coup par la malheureuse destinée de la république. Voilà le sujet de ma douleur, voilà la cause de mes soucis, et de ceux d’Atticus, qui partage mon estime et mon affection pour vous. Vous êtes l’objet de tout notre intérêt ; nous désirons que vous recueilliez les fruits de votre vertu ; nous faisons des vœux pour que l’état de la république vous permette un jour de faire revivre et d’augmenter encore la gloire de deux illustres maisons. Vous deviez régner au forum ; cette carrière était la vôtre ; en y entrant, vous n’y avez pas seulement apporté, comme tant d’autres, cette facilité de parler, qui est le fruit de l’exercice ; chez vous l’éloquence elle-même était enrichie par la réunion des connaissances les plus sublimes, et ces connaissances étaient à leur tour embellies de tout l’éclat de la vertu, joint à la gloire de l’éloquence. Nous sommes doublement affligés de ce que la république est perdue pour vous, et vous pour la république. Toutefois, malgré cette catastrophe déplorable qui arrête l’élan de votre génie, persistez dans les études qui vous occupent sans cesse ; achevez ce que vous aviez si heureusement commencé, ou plutôt entièrement accompli ; achevez de vous tirer de la foule des avocats dont j’ai accumulé les noms dans cet entretien. Riche des précieux