Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/710

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III. Qu’ils viennent maintenant, les railleurs de ce sentiment et de ce discours, et qu’ils déclarent eux-mêmes à qui ils aimeraient mieux ressembler, de ces riches logés dans des palais de marbre, resplendissants d’or et d’ivoire, au milieu des statues, des tableaux, de l’or et de l’argent ciselé, ou des merveilles corinthiennes ; de C. Fabricius, qui de ces prétendus biens n’eut et ne voulut rien avoir ? Ils accordent facilement, il est vrai, que tous ces objets brillants, dont la possession est si mobile, ne méritent pas le nom de biens ; mais ils maintiennent opiniâtrement, et soutiennent avec chaleur, que la volupté est le souverain bien. C’est là, à mon sens, un langage de brutes, et non d’hommes. Comment ! vous, à qui un dieu ou la nature, cette mère universelle, a donné une âme, qui est tout ce qu’il y a au monde de plus excellent et de plus divin, vous vous avilissez et vous ravalez au point de penser qu’il n’est aucune différence entre vous et le premier venu des animaux ? Est-ce qu’il peut y avoir un bien qui ne rende pas meilleur celui qui le possède ? Celui à qui le bien est le plus libéralement échu est en même temps le plus estimable des hommes, et il n’est aucun bien dont le maître ne puisse honnêtement se vanter. Voyez-vous aucun de ces caractères dans la volupté ? Rend-elle l’homme meilleur ou plus estimable ? est-il quelqu’un qui se glorifie de ses plaisirs, et en tire vanité ? Or si la volupté, malgré les nombreux avocats qui en défendent la cause, ne peut être comptée parmi les biens ; si, plus elle augmente, plus elle entraîne l’âme loin de son rang et de son siége naturel : il est certain que, bien et heureusement vivre, n’est rien autre que vivre honnêtement et droitement.

IIe PARADOXE.

Qu’à l’homme vertueux rien ne manque pour le bonheur.

Je n’ai jamais pensé que M. Régulus eût été infortuné, misérable, digne de pitié. Ce que les Carthaginois torturaient en lui, ce n’était ni sa grandeur d’âme, ni sa noblesse, ni sa bonne foi, ni sa fermeté, ni aucune de ses vertus, ni enfin son âme elle-même qui, défendue par ce grand cortége de vertus, n’était certes pas tombée avec son corps au pouvoir des ennemis. J’ai vu C. Marius qui, dans ses prospérités, me parut l’un des plus fortunés, et, dans ses revers, l’un des plus grands hommes ; et c’est le sort le plus beau pour un mortel.

Tu ne sais pas, insensé, tu ne sais pas quelle est la puissance de la vertu : tu en prononces bien le nom ; mais tu ignores ce qu’elle vaut. Celui qui ne relève que de lui-même et met en lui tous ses biens, doit nécessairement être le plus heureux des hommes. Pour celui de qui les espérances, les pensées et la conduite dépendent des jeux de la fortune, il ne peut y avoir rien d’assuré, rien dont il soit certain de jouir tout un jour. Effraye un tel homme, si tu le rencontres, de tes menaces de mort et d’exil. Pour moi, quoi qu’il puisse m’arriver dans cette ingrate cité, je ne m’en affligerai point, et j’y suis prêt. À quoi donc