Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/199

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considérable, comme tu l’as dit ; et il crut cependant que cet honneur n’était point à mépriser. Mais toi, plus savant que Pupius, plus prudent que Cotta, plus riche en lumières, en génie, en sagesse que Crassus, tu méprises ce que ces hommes, selon toi trop peu philosophes, ont jugé glorieux. Que si tu les blâmes pour avoir désiré le triomphe, quoiqu’ils n’aient fait que des guerres peu importantes, ou même qu’ils n’en aient fait aucune ; toi qui as dompté de si grandes nations, qui t’es distingué par de si grands exploits, tu ne devais point mépriser le fruit de tes travaux, la récompense de tes périls, les décorations de ta bravoure. Et certes, tu ne les aurais pas méprisés, quoique plus sage que Thémista, si tu n’avais pas voulu soustraire ton front d’airain aux affronts sanglants du sénat. Tu vois donc, puisque j’ai été assez ennemi de moi-même pour me comparer avec toi, que mon départ, mon absence et mon retour me donnent sur toi un insigne avantage ; j’ai retiré de là une gloire immortelle, et tu n’as dû à ton départ, à ton absence, à ton retour, qu’une éternelle ignominie. Examinons maintenant si la considération dont tu jouis dans la vie privée et civile, ton crédit, le nombre de tes clients, tes services au barreau, tes conseils, ton autorité, tes opinions dans le sénat, te donnent le droit de te mettre au-dessus de moi, ou même, pour parler plus juste, au-dessus du plus vil et du plus abandonné des hommes.

[27] XXVII. Le sénat te hait, et tu conviens qu’il le doit ; tu as renversé, anéanti, non seulement son pouvoir et sa dignité, mais l’ordre même, et jusqu’à son nom. Les chevaliers romains ne peuvent te souffrir ; L. Élius, un des plus illustres et des plus distingués d’entre eux, a été banni de Rome sous ton consulat. Le peuple souhaite ta ruine ; tu as fait retomber sur lui la honte de toutes les émeutes où tu as armé contre moi les brigands et les esclaves. L’Italie entière t’abhorre, l’Italie, dont tu as rejeté avec tant d’orgueil es décrets et les prières. Fais l’épreuve, si tu l’oses, d’une si forte et si générale aversion. Nous allons avoir les jeux les plus magnifiques et les plus brillants, tels qu’il n’y en eut jamais de mémoire d’homme, et tels, je crois, qu’on n’en verra plus. Montre-toi au peuple : hasarde-toi dans ces jeux. Tu crains les sifflets ? où donc est ta philosophie ? les clameurs ? un philosophe doit-il s’en inquiéter ? Tu appréhendes, je pense, qu’on ne te maltraite. En effet, la douleur est un mal dans ton système : l’opinion publique, l’infamie, le déshonneur, la honte, ne sont que des mots, des riens. Mais je n’en doute point ; il n’osera se présenter aux jeux. S’il se trouve au festin public, ce ne sera pas pour y tenir son rang (à moins qu’il ne veuille se rencontrer avec P. Clodius, ses amours), ce sera pour son plaisir : il nous laissera les jeux à nous autres gens du peuple. Il a coutume, dans ses discussions philosophiques, de préférer les plaisirs de la table à ceux des yeux et des oreilles. Peut-être après l’avoir connu comme un fripon cruel, ne le connaissiez-vous que comme un voleur insatiable, une âme sordide, un opiniâtre, un arrogant, un trompeur, un perfide, un impudent, un audacieux : sachez qu’il n’est rien de plus déréglé, de plus dissolu, de plus impudique, de plus infâme que lui. Et gardez-vous de vous