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TUSCULANES.
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PRÉFACE
DE L’ABBÉ D’OLIVET.[1]

J’avais résolu de ne pas toucher aux quatre dernières Tusculanes : mais la beauté de la première ayant fait désirer l’ouvrage complet, je me suis prêté à ce nouveau travail, et d’autant plus volontiers, que M. le président Bouhier a bien voulu le partager avec moi.

On sera, sans doute, charmé de voir Cicéron entre les mains d’un traducteur aussi digne de lui, que Cicéron lui-même était digne d’avoir pour traducteur un savant du premier ordre. Car enfin, quelque raison que j’aie personnellement de laisser le monde dans l’erreur où il est à l’égard de la traduction, j’aurai le courage d’avancer que c’est un genre d’écrire, dont la difficulté ne saurait être mesurée que par ceux qui sont capables de la vaincre. Permis à nos Cotins de traduire Bavius, parce que les productions de Bavius, si nous les avions, se trouveraient au niveau de leur génie. Mais les siècles qui ont suivi les beaux jours d’Athènes et de Rome, n’ont guère conservé que ce qu’il y avait de plus précieux ; et nécessairement il faut entre l’auteur et le traducteur, une certaine proportion de mérite.

Par ce principe, qui paraîtra solide, je rends justice à M. le président Bouhier, mais je me condamne visiblement. Ai-je bien pu, sans une témérité inexcusable, essayer de rendre Cicéron et Démosthène ? Je n’ai rien à dire pour ma défense, si ce n’est que j’ai été traducteur comme on est poète, parce qu’il faut céder à un ascendant secret, qui ne nous permet pas de fuir le danger, même en nous le faisant voir. Une très-vive admiration pour quelques-uns des anciens s’empara de moi dès l’enfance ; aussitôt elle devint l’âme de mes études ; c’est elle qui a disposé de mon loisir ; je lui dois toutes les délices que je puis avoir goûtées dans le cours de ma vie ; comment me serais-je défié des piéges qu’elle me tendait ? Une admiration si constante vient à bout d’inspirer des entreprises trop hardies : et quelquefois, je l’avoue, elle a le pouvoir de les faciliter. Oui, j’ai quelquefois éprouvé qu’elle savait produire dans l’esprit du traducteur une sorte d’ivresse, qui, sans avoir le mérite de l’enthousiasme, ne laisse pas d’en tenir lieu.

Pour revenir donc aux Tusculanes, puisque aujourd’hui nous les donnons toutes les cinq, il est nécessaire d’en marquer ici la liaison. Car, quoique détachées, et prises chacune à part, ce soient autant de questions indépendantes les unes des autres ; il n’en est pas moins vrai, que les cinq ensemble forment un corps des mieux construits. Unité dans le dessein, justesse dans la division, variété dans les matières, voilà, si je ne me trompe, tout ce qui peut concourir à la perfection d’un ouvrage, quant au fonds : et j’ai peine à croire qu’il y ait dans les écrits, ou anciens, ou modernes, quelque autre plan mieux imaginé, plus régulier, que celui des Tusculanes.

Quel a été le but de Cicéron ? C’est de faire bien comprendre à l’homme, qu’il ne tient qu’à lui d’être heureux. Un sentiment confus et aveugle se soulève d’abord contre cette proposition. Mais quelle obligation n’aurai-je pas à un auteur, qui pourra réussir à m’en convaincre ? Je veux être heureux : toutes mes vues, tous mes désirs se portent là : cet instinct, à chaque instant de ma vie, me parle : je puis renoncer à tout, excepté à l’envie d’être heureux : cependant je ne le suis point : dois-je m’en prendre à la nature, ou à moi ? Pour me décider là-dessus, il faut que je rentre en moi-même, et que j’examine au vrai ce que je suis. Hélas ! que suis-je ? Un animal destiné à mourir tôt ou tard. Avant que d’arriver à ce dernier terme, je puis, et à tout moment, me voir aux prises avec la douleur. Je puis, et à tout moment, recevoir des sujets d’affliction. J’ai dans mon cœur le poison le plus funeste, une source intarissable de passions. Mais en même temps, pour combattre les divers ennemis de mon repos, j’ai une raison, qui m’éclaire sur ce qui est bien ou mal ; qui me fait sentir que je suis né pour aimer et pour pratiquer le bien ; qui, par rapport aux maux dont je me plains, corrige l’erreur de mes sens ; et qui enfin, si je suis docile à ses lois, me répond de ma félicité.

Voilà ce qu’embrassent nos cinq Tusculanes. Dans la première, Cicéron se propose de nous rassurer contre les frayeurs de la mort. Dans la seconde, il nous enseigne par quels motifs nous devons patiemment supporter les douleurs corporelles.

  1. En réimprimant la traduction de d’Olivet et de Bouhier, nous nous sommes réservé, dans des notes détachées, soit de suppléer aux omissions volontairement commises par les traducteurs, par des scrupules qui peuvent aujourd’hui paraître excessifs, soit de donner la traduction de tous les passages qu’une saine philologie a modifiés. Nous n’avons pas du même, pour conserver un bon ouvrage, rester, quant au texte des Tusculanes, en arrière de la science.