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TUSCULANES, LIV. I.

caractères, a renfermé tous les sous que la voix forme, et dont la diversité paraissait inépuisable ?

Ou celui qui a observé comment se meuvent les planètes, et qu’elles sont tantôt rétrogrades, tantôt stationnaires ? Tous étaient de grands hommes : ainsi que d’autres encore plus anciens, qui enseignèrent à se nourrir de blé, à se vêtir, à se faire des habitations, à se procurer les besoins de la vie, à se précautionner contre les bêtes féroces. C’est par eux que nous fumes apprivoisés et civilisés. Des arts nécessaires, on passa ensuite aux beaux-arts. On trouva, pour charmer l’oreille, les règles de l’harmonie. On étudia les étoiles, tant celles qui sont fixes, que celles qu’on appelle errantes, quoiqu’elles ne le soient pas. Quiconque découvrit les diverses révolutions des astres, il fil voir par là que son esprit tenait de celui qui les a formés dans le ciel. Faire, comme Archimède, une sphère qui représente le cours de la lune, du soleil, des cinq planètes ; et par un seul mouvement orbiculaire, réiçler divers mouvements, les uns plus lents, les autres plus vîtes ; c’est avoir exécuté le plan de ce Dieu, par qui Platon dans le Timée fait construire le monde. Autant que les révolutions célestes sont l’ouvrage d’un Dieu, autant la sphère d’Archimède est l’ouvrage d’un esprit divin.

XXVI. Je trouve même qu’il y a du divin dans d’autres arts plus connus, et qui ont quelque chose de plus brillant. Un poète ne produira pas des vers nobles et sublimes, si je ne sais quelle ardeur céleste ne lui échauffe l’esprit. Sans un pareil secours, l’éloquence ne joindra pas à l’harmonie du style la richesse des pensées. Pour la philosophie, mère de tous les arts, n’est-ce pas, comme l’a dit Platon, un présent, ou, comme je l’appelle, une invention des Dieux ? C’est d’elle que nous avons appris, et à leur rendre d’abord un culte ; et à reconnaître ensuite des principes de justice, qui soient le lien de la société civile ; et à nous régler enfin nous-mêmes sur les sentiments qu’inspirent la modération et la magnanimité. C’est aussi par elle que les yeux de notre esprit ont été ouverts, en sorte que nous voyons tout ce qui est au ciel, tout ce qui est sur la terre, l’origine, les progrès, la fin de tout C8 qui existe. Une âme donc, douée de si rares facultés, me paraît certainement divine. Car, après tout, qu’est-ce que la mémoire, qu’est-ce que l’intelligence, si ce n’est tout ce qu’on peut imaginer de plus grand, même dans les Dieux ? Apparemment leur félicité ne consiste, ni à se repaître d’ambroisie, ni à boire du nectar versé à pleine coupe par la jeunesse ; et il n’est point vrai que Ganymède ait été ravi par les Dieux à cause de sa beauté, pour servir d’échanson à Jupiter. Le motif n’était pas suffisant pour l’aine a Laomédon une injure si cruelle. Homère, auteur de toutes ces fictions, donnait aux Dieux les faiblesses des hommes. Que ne donnait-il plutôt aux hommes les perfections des Dieux’? Kt quelles sont-elles ? Immortalité, sagesse, intelligence, mémoire. Puisque notre âme rassemble ces perfections, elle est par conséquent divine, comme je le dis : ou même c’est un Dieu, comme Euripide a osé le dire. En effet, si la nature divine est air ou feu, notre âme sera pareillement l’un ou l’autre. Et comme il n’entre ni terre ni eau dans ce qui fait la nature divine, aussi n’en doit-on point supposer dans ce qui fait notre âme. Que s’il y a un cinquième élément, selon qu’Aristote l’a dit le premier, il sera commun, et à la nature divine, et à l’âme humaine.