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CICÉRON.

Troïlus. On loue la destinée de ceux qui meurent de vieillesse. Par quelle raison ? Il me semble, au contraire, que si les vieillards avaient plus de temps à vivre, c’est eux dont la vie serait la plus agréable, (^ar de tous lesavantaji ; cs dont l’homme peut se flatter, la prudence est certainement le plus satisfaisant ; et quand il serait vrai que la vieillesse nous prive de tous les autres, du moins nous prœurc-t-elle celui-lu. Mais qu’appelle-t-on vivre longtemps ? Eh ! qu’y a-t-il pour nous qu’on puisse appeler durable ? Il n’y a qu’un pas de l’enfance à la jeunesse ; et notre course est à peine commencée, que la vieillesse nous atteint, sans que nous y pensions. Comme la vieillesse est notre borne, nous appelons cela un grand âge. Vous n’êtes censé vivre peu, ou beaucoup, que relativement a ce ([ue vivent ceux-ci, ou ceux-là. Aristote dit que sur les bords du fleuve Hypanis, qui tombe du côté de l’Europe dans le Pont-Euxin, il se forme de certaines petites bètes, qui ne vivent que l’espace d’un jour. Celle qui meurt a deux heures après midi, meurt bien âgée ; et celle qui va jusqu’au coucher du soleil, meurt décrépite, surtout un grnnd jour d’été. Si vous comparez avec l’éternité la vie de l’homme la plus longue, vous trouverez que ces petites bètes y tiennent presque autant de place que nous.

XL. Méprisons donc toutes ces faiblesses, car quel autre nom donner aux idées que l’on se fait d’une mort prématurée ? Cherchons la félicité de la vie dans la constance, dans la grandeur d’âme, dans le mépris des choses humaines, dans toute sorte de vertus. Hé quoi, de vaines imaginations nous effeminent ! Que les Chaldéens nous aient fait de belles promesses, nous croyons, si la mort en prévient l’effet, avoir été trahis, et réellement volés. Dans l’attente de ce qui nous arrivera, nos désirs sont sans cesse balancés par nos craintes, et ce n’est qu’angoisses et que perplexités. Heureux le moment après lequel nous n’aurons plus d’inquiétude, plus de souci ! Que j’aime a me représenter le grand courage de Théramène ! Car sa mort, quoiqu’on ne puisse la lire sans pleurer, n’est pourtant dit ; ne que d’admiration, et nullement de pitié. Ayant été mis en prison par l’ordre des trente Tyrans, il avala, comme s’il avait eu soif, la liqueur empoisonnée : et après avoir bu, il jeta ce qui en restait, de manière que cela fit un peu de bruit. Je la parle, dit-il en souriant, au beau Critias, qui avait été de tous ses juges le plus acharné à sa perte. Les Grecs ont celte coutume dans leurs festins, de nommer, quand ils ont bu, celui à qui la coupe doit passer. Ce grand homme, lorsque déjà le poison courait dans ses veines, plaisanta ; et bientôt après sa mort, celle de Critias vérifia son présage. Une intrépidité si marquée, et poussée si loin, mériterait-elle nos louanges, si la mort était un mal ? À quelques années de là, Socrate, livré à des juges aussi injustes que l’avaient été les Tyrans à l’égard de Théramène, est mis dans la même prison, et condamné à boire dans la même coupe. Quel discours donc tient-il à ses juges après que sa sentence lui a été prononcée ? Le voici, tel que Platon l’a rendu.

XLI. « Je suis véritablement plein de cette espérance, que la mort qui m’attend, sera un avantage pour moi. Car il faut nécessairement l’un des deux, ou qu’à la mort nous perdions tout sentiment, ou qu’en sortant de ces lieux nous allions en d’autres. Si donc nous perdons tout sentiment, et que la mort ressemble à un profond