Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/655

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
647
TUSCULANES, LIV. I.

sommeil, dont la tranquillité n’est troublée par aucun songe, bons Dieux ! que l’on gagne à mourir ? Y a-t-il bien des jours qui soient préférables a une nuit passée dans un si doux sommeil ? Et supposé qu’après la mort, toute l’éternité ressemble à une telle nuit, quel homme plus heureux que moi ! Mais si, comme on le dit, la mort nous envoie dans un séjour destiné à une autre ie, c’est un bonheur plus grand encore. Quoi, échapper d’entre les mains de juges qui n’en ont que le nom ; se trouver devant Minos, Rhadamanthe, Éaque, Triptolôme, qui sont de véritables juges ; et n’avoir plus de commerce qu’avec des âmes qui ont toujours chéri la justice et la probité ! Que pensez-vous d’un voyage dont le terme est si agréable ? Vous paraît-il que de pouvoir converser avec Orphée, avec Musée, avec Homère, Hésiode, cela soit à compter pour peu ? Je voudrais, s’il était possible, mourir plusieurs fois, pour arriver ou l’on jouit de cette félicité. Quel charme pour moi d’y voir Palamède, Ajax, tant d’autres qui ont été injustement condamnés ! Il me semble qu’à nous conter nos aventures, nous y trouverions un plaisir réciproque. Mais un plaisir que je mettrais au-dessus de tous, ce serait d’y passer le temps à interroger, à examiner les uns et les autres, comme j’ai fait ici, pour démêler ceux qui ont été véritablement sages, d’avec ceux qui, ne l’étant pas, se piquaient de l’être. J’y étudierais, par exemple, quelle a été la sagesse du roi Agamemnon, celle d’Ulysse, de Sisyphe, d’une inûnité d’autres, hommes et femmes. Et pour avoir fait cet examen, il ne m’arriverait point, comme ici, d’être condamné ai dernier supplice. Juges, qui avez été d’avis de l’absoudre, ne vous faites pas non plus une idée terrible de la mort. Un homme de bien, ni pendant la vie, ni après la mort, ne peut recevoir de mal. Jamais les Dieux immortels ne l’abandonnent. Et ce qui m’arrive à moi, n’est point l’effet du hasard. Je ne me plains, ni de ceux qui m’ont accusé, ni de ceux qui m’ont condamné : ou si j’ai à m’en plaindre, c’est.seulement parce que leur intention était de me nuire… La fin de son discours mérite encore plus d’attention. « Il est temps, dit-il, que nous nous séparions, moi, pour mourir ; vous, pour continuer a vivre. Des deux lequel est le meilleur ? Les Dieux immortels le savent, mais je crois qu’aucun homme ne le sait. »

XLII. Que cette fermeté de Socrate est bien, selon moi, préférable à toute la fortune de ceux qui le condamnèrent ! Du reste, quoiqu’il dise que les Dieux savent eux seuls lequel vaut le mieux de la vie ou de la mort, ce n’est pas qu’il ne le sache très-bien lui-même ; car il s’en est expliqué auparavant : mais comme c’était sa coutume de ne rien affirmer, il la garde jusqu’au bout. Pour nous, tenons-nous-en à cette maxime, que rien de tout ce qui est donné par la Nature a tous les hommes, n’est un mal ; et comprenons que si la mort était un mal, ce serait un mal éternel. Car, d’une vie misérable, la mort en paraît être la fin : au lieu que si d’autres misères suivent la mort, il n’y a plus de fin à espérer. Mais devais-je recourir à Socrate et à Théramène, deux hommes d’une si rare vertu, et d’une sagesse si renommée, puisque ce grand mépris de la mort s’est vu dans un simple Lacédémonien, dont même le nom n’est pas venu jusqu’à nous ? Condamné au dernier supplice par les éphores, il s’y rendait d’un air gai et riant, lorsqu’un