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TUSCULANES, LIV. I.

choir. Et c’est apparemment ce qu’un Lacédémonien voulait faire entendre à Diagoras de Rhodes, lequel, après avoir été autrefois couronné lui-même aux Jeux Olympiques, eut la joie d"y —oir ses deux îils couronnés dans une même journée. Il aborda le vieux athlète, et dans son compliment, « Mourez, lui dit-il, car vous ne monterez pas au ciel. » On attache parmi les Grecs, ou plutôt anciennement on attachait à ces sortes de victoires beaucoup d’honneur, peut-être trop. Ainsi ce Lacédémonien jugeait qu’une famille, qui avait elle seule remporté trois prix à Olympie, ne pouvait aspirer à rien de plus grand ; et que Diagoras par conséquent serait heureux, s’il ne demeurait pas plus longtemps exposé aux coups de la fortune. Je vous avais d’abord répondu en peu de mots : et ce peu vous suffisait à vous, car vous étiez convenu qu’après la mort on ne souffrait pas. J’ai poussé ensuite mes réflexions plus loin, exprés pour avoir de quoi nous consoler, quand nous venons à perdre quelqu’un de nos amis. Si nos intérêts en souffrent, et que ce soit là ce qui cause notre al’llietion, il faut y mettre des bornes, pour n’en pas laisser voir le principe, qui est l’amour de nous-mêmes. Mais ce sera un tourment affreux, intolérable, si nous avons dans l’esprit que les personnes qui sont l’objet de nos regrets, conservent du sentiment, et se trouvent plongées dans ces horreurs dont le peuple se forge l’idée. J’ai voulu me désabuser là-dessus une bonne fois pour toutes : et de là vient que peut-être j’ai été trop long.

XVLII. L’a. Vous trop long ? Du moins ce n’a pas été pour moi. Par la première partie de votre discours, vous m’avez fait désirer la mort : par la dernière vous me l’avez fait regarder, ou avec indifférence, ou avec mépris : et ce qui résulte enfin de ce que j’ai entendu, c’est que la mort bien sûrement ne doit point être comptée au nombre des maux. C. Attendez-vous, que suivant les préceptes de la rhétorique, je fasse ici une péroraison’? Ou plutôt, ne faut-il pas que je renonce pour jamais a tout ce qui sent l’orateur ? l.’. Vous auriez tort de renoncer à un art qui vous doit une partie de sa gloire. Et pour le dire franchement, vous lui devez la vôtre. Ainsi voyons cette péroraison. J’en suis curieux. C. On a coutume dans les écoles de faire voir quelle opinion les Dieux ont de la mort : et cela, non par des fictions, mais par des récits tirés d’Hérodote, et de plusieurs autres auteurs. On raconte surtout la fameuse histoire d’une prêtresse d’Argos, et de Cléobis et Bitou ses enfants. Va jour de sacrifice solennel, cette prêtresse devant se trouver dans le temple à heure marquée, et les bœufs qui devaient la conduire, tardant trop à venir, ses deux enfants aussitôt quittèrent leurs habits, se frottèrent d’huile, et s’étant attelés eux-mêmes, traînèrent le char jusqu’au temple, qui était assez éloigné de la ville. Quand la prêtresse fut arrivée, elle pria Junon de leur accorder, eu reconnaissance de leur amour filial, le plus grand bien qui puisse arriver à l’homme : ils soupèrent avec leur mère, ils s’endormirent après, et le lendemain matin on les trouva morts. Trophonius et Agamède firent, dit-on, une prière semblable après qu’ils eurent bâti le temple de Delphes. En récompense d’un travail si considérable, ils demandèrent à Apollon ce qui pouvait leur être le plus avantageux, sans rien spécifier. Apollon leur fit entendre qu’à trois jours de là ils seraient exaucés : et le troisième jour on les trouva morts. D’où l’on infère qu’Apollon, ce