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CICÉRON.

Dieu à qui tous les autres Dieux ont donné en partage la connaissance de l’avenir, a jugé que la mort était le plus grand bien de l’homme.

XLVIII. On rapporte aussi de Silène, qu’ayant été pris par le roi Midas, il lui enseigna, comme une maxime d’assez grand prix pour payer sa rançon, « Que le mieux qui puisse arriver à l’homme, c’est de ne point naître ; et que le plus avantageux pour lui quand il est né, c’est de mourir promptement » Euripide, dans une de ses tragédies, a employé cette pensée.

Qu’à l’un de nos amis un enfant vienne à naître,
Loin de fêter ce jour ainsi qu’un jour heureux,
On devrait au contraire en pleurer avec eux.
Mais si ce même enfant aussitôt cessait d’être,
C’est alors qu’il faudrait, en bénissant le sort,
Aller fêter le jour d’une si prompte mort.

Il y a quelque chose de semblable dans la consolation de Crantor, où il est dit qu’un certain Élysius de Térine, au désespoir d’avoir perdu son fils, alla pour savoir la cause de sa mort, dans un lieu où l’on évoque les ombres ; et que là, pour réponse on lui donna ces vers par écrit.

          La mort est un bien désirable.
Les hommes dans l’erreur connaissent peu ce bien.
Ton cher fils en jouit par un sort favorable.
          C’est son avantage et le tien.

Voilà sur quelles autorités on dit dans les écoles, que les Dieux ont décidé cette question. Et nous avons même l’Eloge de la mort, composé par Alcidamas, qui fut un des grands rhéteurs de l’antiquité. Il a bâti son discours sur l’énumération des misères humaines : les raisons spéculatives des philosophes ne s’y trouvent pas : mais du côté de l’éloquence, le discours a son mérite. Toutes les fois (pie les autres rhéteurs parlent des morts souffertes pour la patrie, ils en parlent comme des morts, non-seulement glorieuses, mais heureuses. Ils exaltent la mort d’Krechtée, de ses filles, qui eurent le courage de prodiguer leur vie pour le salut des Athéniens. Ils exaltent la mort de Codrus, qui, pour n’être point reconnu à ses habits royaux, se déguisa en esclave et se jeta au milieu des ennemis, parce que l’oracle avait répondu qu’Athènes remporterait la victoire, si son roi était tué dans le combat. Ils n’oublient pas Ménécée, qui, sur un oracle à peu près semblable, versa son sang pour sa patrie. Ils comblent d’éloges Iphigénie, qui se fit conduire en Aulide, et demanda d’y être immolée, pour acheter au prix de ses jours la perte des ennemis.

XLIX. De là passant à des temps moins reculés, ils célèbrent la mémoire d’Harraodius et d’Aristogiton ; celle de Léonidas parmi les Spartiates ; celle d’Epaminondas parmi les Thébaiiis. Et combien y a-t-il de nos Romains, qui ont regardé une mort accompagnée de gloire, comme le plus digne objet de leurs désirs ? Mais les rhéteurs grecs n’en font pas mention, parce qu’ils ne les connaissent point. Après de si grauds exemples, ne laissons pas d’employer toutes les forces de l’éloquence, comme si nous haranguions du haut d’une tribune, pour obtenir des hommes, ou qu’ils commencent à désirer la mort, ou que du moins ils cessent de la craindre. Car enfin, si elle ne les anéantit pas, et qu’en mourant ils ne fassent que changer de séjour, y a-t-il rien de