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TUSCULANES, LIV. II.

plus désirable pour eux ? Et si elle les anéantit, quel plus grand avantage que de s’endormir au milieu de tant de misères, et d’être doucement enveloppé d’un sommeil qui ne finit plus ? Je trouve, cela étant, que notre Ennius, lorsqu’il disait,

Qu’on ne me rende point de funèbres hommages,

parlait mieux que le sage Solon, qui, au contraire, dit,

Qu’au jour de mon trépas, tous mes amis en deuil
Gémissent, et de pleurs arrosent mon cercueil.

Pour nous, au cas que nous recevions du ciel quelque avertissement d’une mort prochaine, obéissons avec joie, avec reconnaissance, bien convaincus que l’on nous tire de prison, et que l’on nous ôte nos chaînes, afin qu’il nous arrive, ou de retourner dans le séjour éternel, notre véritable patrie, ou d’être à jamais quittes de tout sentiment et de tout mal. Que si le ciel nous laisse notre dernière heure inconnue, tenons-nous dans une telle disposition d’esprit, que ce jour, si terrible pour les autres, nous paraisse heureux. Rien de ce qui a été déterminé, ou par les Dieux immortels, ou par notre commune mère, la Nature, ne doit être compté pour un mal. Car enfin, ce n’est pas le hasard, ce n’est pas une cause aveugle qui nous a créés : mais nous devons l’être certainement à quelque puissance, qui veille sur le genre humain. Elle ne s’est pas donné le soin de nous produire, et de nous conserver la vie, pour nous précipiter, après nous avoir fait éprouver toutes les misères de ce monde, dans une mort suivie d’un mal éternel. Regardons plutôt la mort comme un asile, comme un port qui nous attend. Plût à Dieu que nous y fussions menés à pleines voiles ! Mais les vents auront beau nous retarder, il faudra nécessairement que nous arrivions, quoiqu’un peu plus tard. Or, ce qui est pour tous une nécessité, serait-il pour moi seul un mal ? Vous me demandiez une péroraison, en voilà une, afin que vous ne m’accusiez pas d’avoir rien omis. L’a. Je sens qu’elle me donne encore de nouvelles forces contre les approches de la mort. C. J’en suis ravi. Mais présentement songeons à prendre un peu de repos. Demain, et tout le temps que nous serons à Tusculum, nous continuerons nos entretiens, où surtout nous travaillerons à nous guérir de nos chagrins, de nos erreurs, de nos passions. C’est de toute la philosophie ce qu’on peut recueillir de plus utile.

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LIVRE SECOND.

DE LA DOULEUR.
Qu’on doit la supporter.

I. Pyrrhus, dans Ennius, dit qu’il a besoin de philosopher, mais seulement un peu, et sans vouloir s’y livrer tout entier. Pour moi, Brutus, je crois en avoir besoin aussi. Que pourrais-je faire de mieux, surtout dans un temps où je n’ai rien à faire ? Mais je ne veux pas, à l’exemple de Pyrrhus, me prescrire des bornes. Car, à moins que d’avoir embrassé toute la philosophie, ou presque toute, il est difficile d’en avoir quelques points détachés : et l’on ne peut d’ailleurs, ni faire un choix, sans connaître ce qu’on rejette ; ni posséder une partie de cette science, sans se sentir pour le reste une égale curiosité. À l’égard