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TUSCULANES, LIV. II.

toute liberté de nous attaquer, et de nous réfuter. C’est à quoi ne peuvent se résoudre qu’avec peine ceux (jui ont épousé des dogmes dont ils ne peuvent se départir ; et qui, par l’enchaînement de leurs principes, sont dans la nécessité d’admettre des conséquences que sans cela ils rejetteraient. Mais nous, académiciens, qui nous en tenons aux probabilités, et qui, le vraisemblable étant trouvé, ne pouvons étendre nos vues au delà, nous sommes disposés, et à réfuter les autres sans opiniâtreté, et à souffrir sans émotion que les autres nous réfutent. Que si nos Romains prennent du goût pour la philosophie, nous n’aurons plus besoin des bibliothèques grecques, où l’on est accablé d’une infinité de volumes, parce que cette nation a produit une infinité d’auteurs, qui, pour la plupart, se copient les uns les autres : et il en arrivera de même à nos écrivains, si nous en avons beaucoup qui se tournent de ce côté-là. Portons-y le plus que nous pourrons ceux qui ont fonds de belle littérature, et qui sont en état d’écrire élégamment, solidement, méthodiquement.

III. Car nous avons déjà une espèce de gens, qui veulent qu’on leur donne le nom de philosophes, et dont les ouvrages latins ne sont pas, dit-on, en petite quantité. J’aurais tort de les mépriser, n’ayant rien lu de leur façon. Puisqu’eux-mêmes ils se donnent pour écrire sans ordre, sans méthode, sans élégance, sans ornement, je laisse là une lecture qui ne me promet point de plaisir. Quant à leur doctrine, pour peu que l’on ne soit pas tout à fait ignorant, on sait en quoi elle consiste. Ainsi du moment qu’ils ne s’étudient point à plaire, je ne vois pas pourquoi, hors de leur parti, ils auraient des lecteurs. Platon, les autres disciples de Socrate, et leurs successeurs, sont lus de tout le monde : même de ceux qui n’approuvent pas, ou qui du moins n’épousent pas leurs opinions..Mais ni Épicure ni Métrodore ne sont guère qu’entre les mains de leurs sectateurs : et ceux de nos auteurs latins, qui marchent sur leurs traces, n’ont de même pour lecteurs que ceux qui pensent comme eux. Pour moi, sur quelque sujet qu’on écrive, je crois que ce doit être de manière à se faire lire par tous ceux qui ont du goût : et si je n’y réussis point, ce n’est pas qu’il me semble qu’on puisse s’en dispenser. Aussi ai-je toujours aimé la méthode des Péripatéticiens et des Académiciens, qui est de traiter le pour et le contre sur chaque matière ; non-seulement, parce que c’est l’unique moyen de voir où se trouve la vraisemblance, mais encore parce qu’il n’y a rien de si propre à nous exercer dans l’art de la parole. Aristote suivit cette méthode le premier, et ses disciples l’ont retenue. Philon, qui a vécu de nos jours, et que j’ai beaucoup entendu, nous enseignait la rhétorique dans un temps, la philosophie dans un autre. J’ai fait, à la prière de mes amis, un semblable partage du loisir que j’ai dans ma maison de Tusculum. Aujourd’hui, comme hier, nous avons donné la matinée à l’art oratoire ; et nous sommes descendus après midi dans l’Académie, où, en nous promenant, nous avons philosophé.