Page:Cicéron - Œuvres complètes - Panckoucke 1830, t.8.djvu/310

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narrations, ses argumens, sont au dessus de tout éloge. Si quelque jeu de mot déplacé, si quelques longueurs, quelques répétitions inutiles, déparent un peu ce bel ouvrage, c’est que l’absolue perfection n’appartient point à l’humanité. Voyez comme il classe les crimes de l’accusé. Quel ordre au milieu du chaos ! Comme tout est à sa place, sans gêne, sans obscurité, sans confusion ! Ce qu’il ne peut raconter il le peint, et souvent d’un seul trait, etc.[1] »

Ces éloges, accordés à Cicéron par un de ceux qui ont lutté avec le plus d’avantage contre lui, ne peuvent être suspects de cette partialité si commune aux traducteurs en faveur de leur modèle. Les critiques de tous les siècles ont répété ces éloges. Quintilien, Rollin, et après eux La Harpe, citent les deux dernières Verrines de préférence à toutes les autres. Mais, pour ne parler que de celle qui doit nous occuper ici, je crois utile de reproduire les principaux traits de la belle analyse qu’en a faite un de nos contemporains, dont les compositions fugitives forment, par leur réunion, l’ouvrage de littérature le plus complet et le plus varié.

« De tous les discours de Cicéron, a dit feu Dussault[2], les harangues contre Verrès sont peut-être les plus curieux : le nom de ce préteur romain est devenu proverbe. On a de la peine à se faire une idée des ravages qu’il exerça dans la Sicile ; rien n’était à l’abri de sa rapacité. Il était, par exemple, excessivement dangereux de l’inviter à dîner ; car on ne pouvait se dispenser, en recevant chez soi le magistrat romain, d’étaler un peu son argenterie, et il en considérait chaque pièce avec la plus attentive curiosité. S’il s’en présentait une qui fût de main de maître, il la demandait tout simplement, et il fallait bien la lui donner ; mais, comme les ornemens des vaisselles se montaient et se démontaient alors à volonté, il se contentait souvent de détacher et d’emporter ces ornemens, faisant grâce du reste aux propriétaires. Pendant même qu’il était accusé à Rome par toutes les villes de la Sicile, traduit en justice par le plus redoutable orateur du temps, et au moment où l’on instruisait son procès, ayant été invité chez un de ses amis, qui possédait une

  1. Truffer, Préface dela traduction des deux harangues de Cicéron, De signis et De suppliais.
  2. Annales littéraires, t.III, p. 59 et suiv.