Page:Cicéron - Œuvres complètes - Panckoucke 1830, t.8.djvu/311

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argenterie magnifique, on le vit, durant tout le dîner, occupé à prendre entre ses mains, et à considérer d’un œil avide et enflammé, tantôt un vase, tantôt un autre, une aiguière, une coupe, un plat, une amphore, louant le travail, demandant le nom de l’ouvrier d’une voix altérée par le désir. Enfin cette passion furieuse pour les ouvrages de peinture, de sculpture et d’orfèvrerie, fut la cause de sa mort.

« Il eût été difficile de lui donner un département où il pût mieux qu’en Sicile développer ses connaissances et ses lumières. Cette île était très-digne d’un amateur si distingué ; elle regorgeait de chefs-d’œuvre. Les états modernes qui sont les plus riches en monumens des arts, qui possèdent les plus brillantes superfluités et ces précieuses bagatelles dont les nations civilisées s’enorgueillissent, sont bien pauvres en comparaison de l’ancienne Italie et de l’ancienne Grèce. Notre luxe moderne n’est qu’indigence et mesquinerie auprès du luxe antique ; la seule maison de Verrès renfermait plus de monumens et de chefs-d’œuvre que tous nos museum. Les Romains luttèrent quelque temps contre cette séduction des arts de la Grèce, auxquels ils furent étrangers pendant plusieurs siècles. D’abord ils les méprisèrent réellement ; ensuite ils affectèrent de les mépriser : mais il leur fallut enfin courber la tête sous le joug éclatant du luxe ; et la Grèce industrieuse, savante et polie, soumit par l’admiration ces vainqueurs ignorans, sauvages et farouches, qui l’avaient conquise par la force. Fidèle aux anciennes maximes de la république, Cicéron, dans le discours De signis, ne parle des arts et des ouvrages des artistes les plus fameux qu’avec une sorte de dédain ; il fait même quelquefois semblant de ne pas trop savoir les noms des plus célèbres statuaires, il répète souvent, et avec une espèce d’affectation, qu’il se connaît fort peu en peinture et en sculpture ; il se pare, pour ainsi dire, de cette ignorance ; il paraît regarder le goût des arts comme indigne des Romains, et les plus beaux chefs-d’œuvre comme des jouets d’enfans, bons pour amuser la légèreté et la frivolité des Grecs, dont il exprime presque toujours le nom par un diminutif, mais peu faits pour fixer l’attention, l’estime et les vœux d’une ame romaine.

« Il entrait sans doute autant d’orgueil que de politique dans ces principes sévères, que Rome étalait avec tant de fierté. Les Romains sentaient combien ils étaient inférieurs aux Grecs dans l’exercice