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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

au cheval pour la génisse ? Pensez-vous que l’aigle, que le lion, que le dauphin ne soit pas charmé de sa propre figure ? Si donc la nature a inspiré pareillement à l’homme de ne trouver rien de plus beau que l’homme, faut-il s’étonner que cela nous fasse présumer que les Dieux nous ressemblent ? Quoi ! vous pensez que les bêtes, si elles avaient l’usage de la raison, ne donneraient pas chacune à son espèce le prix de la beauté ?

XXVIII. Pour moi, quoique je sois assez content de moi-même, je n’oserais pourtant me croire plus beau que ce taureau qui ravit Europe ; car ni l’esprit ni la parole ne font rien ici, où il s’agit uniquement de la figure. Donnons carrière à notre imagination, faisons à notre gré un composé de plusieurs formes, et dites-moi : Seriez-vous fâché de ressembler à ce triton, que l’on dépeint avec un corps humain, à quoi se joignent plusieurs animaux, qui en nageant le portent sur la mer ? Je touche un point délicat : l’impression de la nature étant si forte, qu’il n’y a point d’homme qui consentit à n’avoir pas l’extérieur d’un homme ; et, sans doute, point de fourmi qui voulût être faite autrement qu’une fourmi. Mais encore, de quel homme en particulier voudrait-on avoir la figure ? car les beaux hommes ne sont pas communs. À peine s’en trouvait-il un dans chaque troupe de jeunes gens, lorsque j’étais à Athènes. Je vois ce qui vous porte à rire ; mais le fait ne laisse pas d’être vrai. Outre que pour nous autres, qui, avec la permission des anciens philosophes, aimons les jeunes hommes, souvent les défauts sont des attraits. Une marque au doigt d’un enfant charme les yeux d’Alcée. C’est une tache pourtant que cette marque : mais pour lui c’était un agrément. Catulus, père de celui qui est mon ami et mon collègue, s’éprit de votre compatriote Roscius, et fit sur lui les vers suivants :

 J’admirais du soleil la naissante clarté,
      Quand Roscius d’autre côté
      Tout à coup s’offrant à ma vue :
      Habitants du céleste lieu,
Excusez, ai-je dit, mon audace ingénue :
À mes yeux, le mortel est plus beau que le Dieu.

Roscius plus beau qu’un Dieu ! Il avait pourtant alors, comme aujourd’hui, les yeux de travers. Mais qu’importe, supposé que ce fût pour Catulus quelque chose d’agréable et de piquant ?

XXIX. Je reviens aux Dieux. Croyez-vous qu’il y en ait, ne disons pas qui soient entièrement louches, mais qui aient les yeux un peu inégaux, ou le nez camus, ou les oreilles pendantes, un trop large front, une trop grosse tête, ou enfin quelque autre imperfection ? Les croyez-vous, au contraire, sans défauts ? Je vous l’accorde. Les voilà donc tous avec les mêmes traits. Car s’il y avait quelque différence, les uns nécessairement seraient plus beaux que les autres ; et il y aurait quelque Dieu qui ne serait pas infiniment beau. Que si tous ont les mêmes traits, l’Académie est donc florissante dans le ciel. Car le moyen de s’y connaître, et de s’assurer qu’on ne se méprend point, s’il n’y a point la moindre différence entre Dieu et Dieu ? Mais s’il n’est pas même vrai qu’un Dieu se présente toujours à nos esprits sous une forme humaine, vous obstinerez-vous encore, Velléius, à défendre ces sortes d’absurdités ? Pour nous, quelquefois nous pouvons avoir cette idée, parce que nous connaissons Jupiter, Junon, Minerve, Neptune, Vulcain, Apollon, et les autres Dieux, aux traits que leur a donnés le