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CICÉRON

à la raison : mais de la raison à la figure humaine, ce n’est plus descendre par degrés, c’est se précipiter de haut en bas. Au reste, je ne comprends pas d’où vient qu’Épicure a mieux aimé faire les Dieux semblables aux hommes, que les hommes semblables aux Dieux. Vous me direz : N’est-ce pas la même chose ? Si celui-ci ressemble à celui-là, celui-là ressemble à celui-ci. J’explique ma pensée, et je dis que la forme qu’ont les Dieux ne leur est pas venue des hommes. Car les Dieux, puisqu’ils doivent être immortels, sont par conséquent de toute éternité. Pour ce qui est des hommes, ils ont une origine. Donc, la forme humaine, si c’est celle qu’ont les dieux, était avant qu’il y eût des hommes. Donc il faudrait dire, non que les Dieux ont la forme humaine, mais que nous autres hommes nous avons la forme divine. Je vous laisse le choix. Autre question. Vous qui n’admettez point de principe intelligent dans la production de l’univers, dites-moi quel a été ce grand hasard, cet admirable concours d’atomes, d’où il est sorti des hommes revêtus de la forme qu’ont les Dieux ? Une semence divine serait-elle tombée du ciel ici-bas, et aurait-elle produit des hommes semblables à leurs pères ? Je voudrais que ce fût votre pensée : car je ne serais pas fâché que l’on me fît descendre des Dieux. Mais non : vous prétendez que cette ressemblance n’est que l’effet du hasard. Est-il besoin que je réfute cela sérieusement ? Heureux, si la vérité me coûtait aussi peu à trouver, que le mensonge à détruire !

XXXIII. Tout ce que les philosophes depuis Thalès ont pensé sur la nature des Dieux, vous l’avez rapporté avec une érudition qui m’a surpris dans un Romain. Or vous paraît-il qu’ils aient tous extravagué, pour avoir dit que des mains et des pieds n’étaient pas une chose essentielle à la divinité ? Quand vous examinez à quoi servent des membres tels que les nôtres, ne vous est-il pas évident que les Dieux peuvent s’en passer ? Faut-il des pieds à qui ne marche jamais ? des mains à qui n’a rien à toucher ? Ainsi des autres membres ; car il n’y en a point d’inutile, point qui n’ait ses fonctions particulières. L’adresse de la nature surpasse ici tous les efforts de l’art. Votre Dieu aura donc une langue sans parler ; il aura des dents, un palais, un gosier, sans en faire usage ; il aura en vain ce qui est destiné à la génération ; il aura non-seulement les parties extérieures, mais encore les intérieures, le cœur, le poumon, le foie et autres semblables, qui ne lui sont bonnes à rien, puisque vous ne lui donnez des membres que pour la beauté. De si folles rêveries ont-elles pu inspirer a Épicure, à Métrodore, à Hermachus, l’audace de s’élever contre Pythagore, contre Platon, contre Empédocle ? Que dis-je ? la courtisane Léontium osa écrire contre Théophraste ; finement, je l’avoue, et d’un style attique : mais enfin voilà jusqu’où le jardin d’Épicure portait la licence ; et votre coutume est cependant de prendre feu, pour peu qu’on ne soit pas de votre avis, il n’en fallait pas davantage pour se faire une querelle avec Zénon. Albutius entendait-il mieux raillerie ? Phèdre, ce bon vieillard, qui était la politesse même, lorsqu’il m’échappait quelque vivacité dans la dispute, aussitôt se mettait de mauvaise humeur. Quelles ont été les invectives d’Épicure contre Aristote, et ses