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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

médisances infâmes contre Phédon, disciple de Socrate ? Il a écrit des volumes entiers contre Timocrate, qui était le frère de son ami Métrodore, et qui ne lui avait déplu que pour n’être pas de son opinion sur je ne sais quel point de philosophie. Il n’a marqué nulle reconnaissance pour Démocrite, l’auteur de sa doctrine ; et il a traité fort mal Nausiphane, son maître, qui ne lui avait rien appris.

XXXIV. Zénon ne déchirait pas seulement Apollodore, Syllus, et ses autres contemporains : mais, remontant jusqu’au père de la philosophie, jusqu’à Socrate, il l’appelait le bouffon d’Athènes ; et quand il voulait parler de Chrysippe, il disait toujours Chésippe. Vous-même, tout à l’heure, quand vous avez comme assemblé un sénat de philosophes, et recueilli leurs diverses opinions, vous disiez que ces grands hommes n’avaient pas le sens commun, que c’étaient des visionnaires, de vrais fous. Certainement, s’ils ont tous erré sur cette matière, c’est une forte présomption contre l’existence des Dieux. Car de votre côté vous ne dites là-dessus que des fables, qui à peine mériteraient d’amuser les vieilles à leurs soirées. Ne remarquez-vous pas en effet quelle prise vous donnez sur vous, si l’on vous accorde que les Dieux sont faits comme les hommes ? Ils seront assujettis comme nous aux soins qui regardent le corps ; à la nécessité de marcher, de courir, de se coucher, de se baisser, de s’asseoir, de toucher, de parler. Enfin, vos divinités étant mâles et femelles, je vous laisse à penser ce qui s’ensuit. Non, je ne puis assez m’étonner que ces opinions soient entrées dans la tête d’Épicure. Vous en revenez toujours à votre principe, Qu’un Dieu est un être heureux et immortel. Serait-ce donc un obstacle à sa félicité, de n’avoir pas deux pieds ? Et de quelque manière que vous conceviez cette félicité divine pourquoi, n’en croyez-vous pas susceptible, ou le soleil, ou ce monde-ci, ou quelque intelligence éternelle, qui ne soit pas revêtue d’un corps ? Pour toute réponse, vous dites : Je n’ai jamais vu les plaisirs du soleil, ni ceux du monde. Et quel autre monde avez-vous jamais vu que celui-ci ? Vous ne laissez pas d’assurer qu’il y a, ne disons pas six cent mille mondes, mais des mondes innombrables. La raison, ajoutez-vous, le dit ainsi. Et la raison ne vous dira-t-elle pas qu’un Dieu étant un être parfait, un être heureux et immortel, on doit croire que comme il a sur nous la prérogative de l’immortalité, de même il a sur nous toute sorte d’avantages, soit pour l’esprit, soit pour le corps ? Inférieurs à lui en tout le reste, pourquoi lui serions-nous égaux par la figure ? C’est moins dans l’extérieur que dans la vertu, qu’il faudrait chercher quelque ressemblance entre l’homme et un Dieu.

XXXV. Mais pour insister sur la même objection, y aurait-il rien de si puéril, que de nier qu’il y ait de ces sortes d’animaux, qui s’engendrent dans la mer Rouge, ou dans les Indes ? On ne saurait, avec toute la curiosité imaginable, parvenir à connaître tout ce qu’il y en a sur la terre, dans les mers, dans les marais, dans les rivières. Faudra-t-il nier l’existence de tous ceux qu’on n’aura point vus ? Après tout, que concluriez-vous de cette ressemblance, dont nous faites tant de cas ? Un chien ressemble bien à un loup, et, comme dit Ennius,