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CICÉRON.

Mon ombre est un poison, que je crains pour vos yeux ;
Et l’air même en mes (lancs devient contagieux.


Hé quoi donc ! pour le crime d’autrui, Thyeste, tu te condamneras ? Tu te priveras de la lumière ? Mais que dirons-nous du père de Médée ? Ce fils du Soleil parait-il digne d’être éclairé par son père, dans l’état où la douleur l’a réduit ?

Il a le corps séché, l’œil mort, les cheveux longs.
larmes sur sa joue ont gravé des sillons ;
Et le poil hérissé de sa barbe difforme
Cache son sein livide, et sa maigreur énorme.


Tes maux, prince insensé, viennent de toi. Ils ne résidaient point dans ce qui fest arrivé ; et le temps, d’ailleurs, devait avoir amorti ta douleur. Car. comme je le ferai voir, le chagrin est l’idée qu’on se fait d’un mal récent. Mais tu pleures la perte de ton royaume, et non celle de ta fille. Tu la haïssais, peut-être avec raison. Ce qui te met au désespoir, c’est la privation d’une couronne. Mais de succomber à l’ennui, parce qu’on ne peut régner sur des hommes libres, n’est-ce. pas franchir toutes les bornes de la pudeur ? Denys le Tyran, après avoir été chassé de Syracuse, voulut enseigner la jeunesse à Corinthe ; tant il lui était impossible de se passer de commander. Et plus impudent encore fut autrefois Tarquin d’oser faire la guerre à nos pères, parce qu’ils n’avaient pu supporter son orgueil. On dit qu’ensuite, voyant qu’avec le secours des Veïens et des Latins, il ne pouvait recouvrer son royaume, il se retira à Cumes, ou il mourut de vieillesse et de chagrin.

XIII. Jugez-vous donc qu’il soit d’un homme sage, de se laisser ainsi subjuguer par le chagrin, c’est-à-dire, par une souffrance épouvantable ? Car si toute passion est un tourment, on peut dire que le chagrin est une vraie torture. La cupidité nous enflamme ; la joie nous donne des saillies folles ; la crainte nous abat le courage : mais le chagrin renferme de bien plus grandes peines ; les langueurs, les angoisses, la consternation, le désespoir. Il déchire, il dévore l’âme, il la consume entièrement. Qu’où est a plaindre, jusqu’à ce que l’âme soit rentrée dans sa tranquillité ! Tout chagrin (cela est évident) vient de ce qu’on se croit poursuivi et accablé par quelque grand mal. Or l’effet que cette idée produit, est, selon Épicure, un effet naturel ; en sorte qu’il n’est pas en notre pouvoir de ne pas nous abandonner au chagrin, lorsqu’un mal qui nous parait grand, nous arrive. L’école de Cyrène prétend que toutes sortes de maux n’opèrent pas cet effet, mais seulement ceux qui arrivent sans avoir été prévus : et il est vrai que cette circonstance augmente l’affliction : car tout ce qui arrive lorsqu’on ne s’y attend pas, est plus frappant. Voilà ce qui fait trouver belles, et avec raison, les paroles suivantes :

Je savais que mon fils, au moment qu’il fut né,
Fut au gré de la Parque à la mort destiné ;
Et qu’aux champs d’Ilion allant chercher la gloire,
tl courait au trépas, ainsi qu’à la victoire.

XIV. Un accident prévu de loin cause donc un chagrin moins vif. Et c’est pour cela qu’on loue communément le discours qu’Euripide fait tenir à Thésée, et que vous me permettrez de traduire ici, suivant ma coutume :

Les sages m’ont appris à prévoir les horreurs
De l’exil, de la mort, et des plus grands malheurs ;

.... tanta vis sceleris in corpore hæret.


Tu te, Tuyesta, damnabis, orbabisqne luce propler vim sceleris alieni ? Quid ? illum (ilium Solis nonne patris ipsius luce indignons putas ?

Refugere oculi : corpus macie extabuit :
Lacrymae peredere humore exsangues genas :
Situ liventes : barba pædore horrida, atque
Intonsa infuscat pectus illuvie scabrum.


Hæc mala, o stultissime Æta, ipse tibi addidisti. Noninerant in ils, quae tibi casus invexerat,et quidem inveterato malo, corn tumoranimi resedisset. Est autem aegritudo, ut docebo, in opinione mali recentis. Sed mœres rideitcet regni desiderio, non filiae : illam enim oderas, et jure foi ! gno non aequo animo carebas. Est autem impodens luetns mœrore se conficientis, qnod imperare non lieeat uberis. Dionysius quidem tyrannus Syracosfa e xpulsus Corinthi poeros docébat, nsque eo imperio carere non noterai. Tarqoinio vero quid impudentias, qui bellum reretcam iis, qui ejus non tulerantsuperbiam ? Is, cum restitui in regnum nec Veientium, nec Latinorum aimis potnisset, Cnmas se contulisse dicilur, inque ea urbe senio, et aegritudine esse confeclus. XIII. Hoc tu igitur censés sapienti accidere posse, ut aegritudine opprimalur, id est miseria ? Nam cum pmnis pertarbatto miseria est, tum carnificina est aegritudo. fcfabel ardorem libido, levitalem lœtitia gestion ; humilitatem metus : sed segiitudo majora quaedam, tabem, cruciatum, afflictationem, fœditatem : Lacérât, exest animum, planeque conficit. Hanc nisi exuimus sic, ut abjiciamus, miseria carere non possumus. Atque hoc quidem perspicoum est, tum aegritudinem exsistere, cum quid ita visum sit, ut magnum quoddam maliim adesse, et urgere videatur. Epicuro autem placet opinionem mali segritodinem esse natura, ut quiconque intuealur in aliquod majus malum, si id sibi accidisse opinetur, sit continno in aegritudine. Cyrenaia non oranî malo aegritudinem effici censent, sed insperato, et nec opinato malo. Lst id quidem non médiocre ad aegritudinem angendam : videntur enim omnia repentina graviora. Ex hoc et illa jure laudantur :

Ego, cum genui, tum moriturum scivi, et ei rei sustuli.
Præterea ad Trojam cum misi ob defendendam Græciam,
Sciebam me in mortiferum bellum, non in epulas mittere.

XIV. Hæc igitur pnemeditatio futurorum maloruin leint eorum adventum, quae venienlia longe antevideiis. Itaque apud Euripidem a Theseo dicta laudantur : licet enim, ut sa-pe facimus, in Latinum illa convertere :

Nam, qui hœc audita a docto meminissem viro,
Futuras mecum eommentabar miserias :
Aut mortem acerbam, aut exsili mœstam fugam,
Aut semper aliquam molem meditabar mali :