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TRAITÉ

DE LA DIVINATION.

PRÉFACE.

Ce traité, composé par Cicéron dans l’année 709 de Rome, et peu de temps après celui de la Nature des Dieux, peut être regardé comme le plus original et le plus philosophique des ouvrages de ce grand homme. C’est celui où Cicéron, cédant à la force de la vérité, s’est le plus écarté des formes timides de la nouvelle Académie. Ici l’homme politique, le défenseur des traditions disparaissent, pour laisser le champ libre au moraliste et au philosophe. Sans le traité de la Nature des Dieux, et surtout celui de la Divination, la postérité n’aurait peut-être pas été en droit d’affirmer que le même homme à qui ses harangues donnaient le premier rang parmi les orateurs de son pays, avait eu, comme philosophe, assez de portée dans l’esprit pour pressentir l’ère nouvelle qui allait changer la face du monde. Témoin de toutes les décadences de l’ancienne Rome, et placé pour ainsi dire au point de partage de deux civilisations, Cicéron a apprécié le passé en novateur aussi hardi qu’intelligent. Ce monument de la pénétration du philosophe, si précieux pour nous, peut donc être aussi regardé comme l’un de ses titres de gloire les plus considérables.

Ce n’est pas que nous partagions l’opinion que, sur d’autres points, Cicéron se soit asservi au passé, et qu’il n’ait été, comme homme d’État, qu’un défenseur entêté des formes surannées de l’oligarchie romaine. Vainement voudrait-on nous montrer dans le citoyen parvenu d’Arpinum un dévouement exagéré à l’aristocratie qui l’avait admis dans son sein, et un zèle outré dont les excès l’auraient emporté au delà des bornes d’une légitime reconnaissance. On a trop oublié qu’il avait consacré ses premiers essais à célébrer Marius ; que nous le voyons dans ses lettres fatigué à l’excès de la puissance des premiers triumvirs ; qu’il s’indigna de voir Pompée revêtu seul de la dignité consulaire, et qu’il se montra prompt à accuser ce chef puissant du patriciat romain, d’usurpation et de tyrannie. Ce jugement passionné et trop sévère, porté sur l’ensemble des actes politiques de Cicéron, se rattache, d’ailleurs, au système historique suivant lequel la république, ou plutôt l’oligarchie romaine, n’aurait été détruite que pour faire place à une forme politique qui, sous les dehors de la royauté, aurait été au fond l’œuvre de prédilection de la démocratie. S’il est vrai pour nous, jusqu’à un certain point, que César et les empereurs furent les représentants des plébéiens, et que l’établissement de l’empire ne fut que la consécration permanente de la victoire du peuple sur les patriciens, qui oserait dire qu’à l’époque où vécut Cicéron, en face des faits dont il fut témoin, il était aisé de se rendre compte de ces tendances, et de pressentir le dénouement de ce drame ?

Ce qu’il était plus aisé de voir et de constater, c’était la domination toujours croissante d’une multitude enthousiaste, irréfléchie dans ses préférences, avide de licence, prête à livrer la constitution et l’empire, aujourd’hui aux fureurs de Catilina, demain à la gloire de César. Au-dessus de cette plèbe s’agitait une noblesse insatiable, divisée par des haines sanglantes et invétérées, habile à flatter les passions de la multitude, patriciat dégénéré dont Cicéron connaissait et redoutait la cupidité et les vices. Le choix était-il donc si facile pour un homme qui, comme Cicéron, plaçait évidemment la liberté dans l’amélioration morale de l’homme ? C’est à peine si nous pouvons nous-mêmes, instruits par l’expérience de dix-huit siècles, débrouiller le chaos de l’histoire romaine à cette époque, plus dramatique que glorieuse. Il est vrai, cependant, que Cicéron avait facilement adopté la prudente réserve de l’aristocratie romaine. Il est rare que sur les points qui touchent à la politique, ou au culte public, il laisse percer son opinion intime, soit dans ses nombreux discours adressés aux comices, soit même dans les traités politiques. Lisez son traité des Lois, étudiez ce qui nous est resté de sa République : avec quelle réserve, quelle extrême prudence il parle de la constitution, de l’origine des magistratures et de l’autorité des pontifes ! Ses discours prononcés dans le forum sont encore plus retenus à cet égard que ses traités. Ce ne sont que des plaidoyers habilement préparés pour apprendre au peuple ce qu’il est indispensable de lui faire connaître, ce qui peut être utile pour raffermir l’autorité du sénat. Il ne serait même pas difficile de relever de nombreuses contradictions entre le philosophe et l’homme d’État. Bornons-nous à un seul exemple. Cicéron dans son traité des Lois, qui n’était qu’une suite de la République, exprime ainsi son opinion sur la divination :