Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/190

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je crois dit-il au second livre, qu’il existe une divination, et que l’art de prédire par le vol des oiseaux et les autres signes en fait partie. Puis il rassemble en faveur de cette prétendue science tous arguments qu’il réduira un jour en poussière, consacrant ainsi par son approbation cet amas d’opinions et de pratiques superstitieuses qu’il combattra plus tard de toute la force de sa raison et de son éloquence.

A quel entraînement obéit donc le consulaire, l’ancien chef des augures, en osant dans le traité de la Divination, attaquer avec tant de franchise et d’audace ces pieuses impostures dont il avait été si longtemps complice ? Qui put le porter à faire une si large brèche dans cette vieille constitution romaine, dont la superstition était le ciment? On en peut découvrir les motifs en lisant avec attention le second livre de ce traité. Cicéron, si prudent quand il vissait de politique ou de culte public, avait peine à garder la même retenue quand le débat portait sur la religion ou la morale pures. Si ses opinions générales sur les choses de son temps nous semblent incises, ses principes de morale, extraits de ses divers écrits, témoignent d’une conviction arrêtée, d’une croyance vive et épurée. C’est là que nous retrouvons les preuves de ce christianisme antérieur dont il est un des plus glorieux représentants. Nul doute que la religion de Cicéron n’eût pour fondement l’unité et la providence de Dieu, et l’immortalité de l’âme. Il considérait le court espace dans lequel notre vie est renfermée comme un état d’épreuve pendant lequel nous devons nous préparer à une éternelle existence. Il regardait l’homme comme placé ici-bas, moins pour habiter la terre que peur contempler le ciel , vers lequel nos yeux ont été dirigés par Dieu même, et où nous sommes appelés par de sublimes espérances. Comment Cicéron aurait-il pu concilier ces croyances avec l’existence de la divination, avec ce dogme étroit du fatalisme dont la première conséquence était d’anéantir la liberté, et par suite la responsabilité de l’homme? {De Divin. II, 72.)

Il faut aussi considérer la situation dans laquelle se trouvait Cicéron au moment où il écrivit ce traité. César venait d’être assassiné. Toutes les espérances des factieux renaissaient avec une nouvelle ardeur. Chacun aiguisait ses armes. Il était facile de prévoir que l’Empire ne tarderait pas à être transformé en un vaste champ de bataille. Cicéron, déjà âgé de soixante-trois ans, séparé de sa première femme, tirant encore sa fille chérie, se retira, durant les mois d’avril et de mai, à Pouzzol, dans une de ses maisons de campagne les plus solitaires ; et là, moins rassuré qu’il ne veut le paraître sur le salut public, il chercha dans l’étude de la philosophie quelques moments de repos, et un peu d’oubli. On conçoit qu’a la vue de cet ébranlement général de toutes choses, la réserve devenait inutile, et la franchise facile, surtout au milieu d’un petit nombre d’amis. Cicéron, d’ailleurs, prévoyait qu’il lui serait impossible de rester plus longtemps à l’écart, et d’éviter les dangers de la lutte. Il se préparait sans doute à attaquer les diverses usurpations qu’allaient susciter les troubles publics. Il voyait déjà, peut-être, le poignard des sicaires d’Antoine dirigé vers lui, et, certain en tout cas que l’âge ou le fer de ses ennemis ne l’épargnerait pas longtemps, il se plut à mettre dans cet écrit un peu de la sincérité d’un testateur.

Les premiers chrétiens s’empressèrent de propager les deux traités philosophiques de la Nature des Dieux et de la Divination. De leur côté, les défenseurs du paganisme en demandèrent la suppression au sénat. Dans l’année 302, un ordre de Dioclétien les condamna au feu. Il est probable que c’est par les chrétiens qu’ils nous ont été conservés. Des ouvrages auxquels le traité de Cicéron donna naissance, ouvrages qu’Eusèbe (Prépar. évang., I. iv) estimait dépasser le nombre de six cents , il ne nous est parvenu que des fragments sans importance. Ainsi sous le rapport historique, le traité de Cicéron est pour nous d’un grand prix. Sans lui nous ignorerions une foule de pratiques et d’usages qui se rattachent à la vie politique et civile des Romains. Montesquieu cite souvent le traité de la Divination, qu’il avait étudié avec soin. Voltaire, dans ses questions sur l’Encyclopédie, y trouve le sujet d’une piquante et ingénieuse fiction.

On ne lira pas sans intérêt les deux morceaux particulièrement inspirés à ces deux grands hommes par la lecture de l’ouvrage de Cicéron.

Voici les réflexions de Montesquieu :

« Je trouve cette différence entre les législateurs romains et ceux des autres peuples, que les premiers firent la religion pour l’Etat, et les autres l’État pour la religion. Romulus, Tatius, et Numa, asservirent les Dieux à la politique ; le culte et les cérémonies qu’ils instituèrent furent trouvés si sages que, lorsque les rois furent chassés, le joug de la religion fut le seul dont ce peuple, dans sa fureur pour la liberté, n’osa s’affranchir.

« Quand les législateurs romains établirent la religion, ils ne pensèrent point à la réformation des mœurs, ni à donner des principes de morale ; ils ne voulurent point gêner des gens qui ne connaissaient pas encore les engagements d’une société dans laquelle ils venaient d’entrer : ils n’eurent donc d’abord qu’une vue générale, qui était d’inspirer à un peuple qui ne craignait rien, la crainte des Dieux, et de se servir de cette crainte pour le conduire à sa fantaisie.

« Les successeurs de Numa n’osèrent point faire ce que ce prince n’avait point fait. Le peuple, qui avait beaucoup perdu de sa férocité et de sa rudesse, était devenu capable d’une plus grande discipline. Il eut été facile d’ajouter aux cérémonies de la religion des principes et des règles de morale dont elle manquait ; mais les législateurs des Romains étaient trop clairvoyants pour ne point connaître combien une pareille réformation eut été dangereuse : c’eut été convenir que la religion était défectueuse; c’était lui donner des âges, et affaiblir son autorité en voulant l’établir. La sagesse des Romains leur fit